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Nos sociétés ont docilement accepté d'être privées de libertés: "Nous étions trop peu nombreux à râler"

Le philosophe et écrivain Bernard-Henri Lévy vient de sortir un nouveau livre intitulé "Ce virus qui rend fou". Nous l’avons rencontré lors de son passage en Belgique pour qu’il nous synthétise sa pensée, entre tristesse face à la docilité de notre société face aux privations de libertés au nom de la peur et de la science.

Daesh a déclaré l'Europe zone à risque pour ses combattants...

"Je suis plus attristé qu’en colère, par la docilité et la soumission mondiale à l’ordre sanitaire et au virus, comme s’il devait dicter à la planète sa loi. Et c’est ce qui s’est passé", explique-t-il. "C’est extrêmement rare que tout le monde ait peur ne même temps. C’est comme je l’appelle dans mon livre la « première peur mondiale ». J’ai compris qu’il y avait un problème quand j’ai vu que même Daesh déclarait l’Europe et la France zone à risque pour ses combattants et déconseillait donc de s’y rendre. Là j’ai compris qu’il se passait une chose complètement irrationnelle et folle."

Plus aucun intérêt pour les autres problèmes du monde

"J’ai tenu à écrire ce livre parce que je pensais que nous étions trop peu nombreux à râler, à protester. J’ai fait deux petites enquêtes avant de commencer ce livre, au début du confinement. Premièrement : qu’est-ce qui se passe de vraiment important sur la planète : au Yémen ? En Syrie ? Du côté de chez Erdogan ? Sur la ligne de front entre l’Ukraine et la Russie ? Rien dans les journaux ou à la télévision : le monde avait disparu. Et personne ne protestait. Deuxièmement, pendant ce fameux confinement, les gens se sont précipités sur leur internet et les sites de pétitions en ligne ont prospéré. Il y a eu des pétitions sur tout. Mais des pétitions pour qu’on rouvre le parlement parce qu’il était quasi fermé, pour que la justice se remette à fonctionner, il n’y en a pas eu. Pas l’ombre d’une protestation, d’une indocilité."

Nos sociétés prêtes à accepter moins de libertés

Face à cette docilité, il convient de se demander si nos sociétés occidentales sont mûres pour un glissement vers un modèle autoritaire de type chinois. "C’est la question qui se pose au sortir de cette crise, car tout ce qui nous semblait monstrueux il y a 4 mois –on parlait de ces systèmes de surveillance à la chinoise comme de la monstruosité absolue- nous parait aujourd’hui acceptable. Si quelqu’un m’avait dit qu’on pourrait penser en France à accepter Stop Covid. Qu’on pourrait nous proposer que des brigades d’anges gardiens surveillent vos contacts, identifient vos rendez-vous, entre dans vos boites aux secrets, j’aurais dit « ça va pas la tête, tu te moques de moi, on n’est pas en Chine ». Et bien non, ça se passe. On n’est pas encore trop nombreux à accepter cette application Stop Covid mais ça ne crée par une émotion aussi considérable", déplore-t-il, en concluant que "la démocrature a peut-être un avenir".

La science au pouvoir... alors que la médecine n'est pas une science exacte

Autre constat : la place qu’a prise la science dans les prises de décisions. "Premièrement, on n’entendait qu’eux. Deuxièmement, comme il se doit, ils n’étaient pas d’accord. Et notre erreur et celle des politiques a été de croire que les médecins détenaient la vérité. Non. Il suffit d’avoir quelques rudiments d’histoire des sciences pour savoir que la médecine n’est pas une science dure, que dès que vous mettez quatre médecins à table ils vont se disputer. Et parfois ce sont de belles disputes, fécondes, et c’est comme ça qu’avance la science. Les responsables politiques ne prenaient pas une décision sans préciser qu’ils l’avaient fait valider par un conseil scientifique qui détenait la vérité et qui était investi de l’autorité qu’ils sentaient eux défaillir en eux. Donc il y a eu cet abus d’autorité dans cet appel aux médecins, et il y a eu cet investissement incroyable du champ médiatique par le pouvoir médical. Michel Foucault redoutait et pensait que c’était le fin du fin du pouvoir et de la discipline, c’est-à-dire le biopouvoir, le pouvoir médical. Il le redoutait en 76, 77, 78, et bien c’est arrivé 40 ans après. Nous sommes au seuil de cela."

Un châtiment de Dame Nature, c'est idiot et ça rappelle Pétain...

Puis il y a également eu les discours inverses, non scientifiques, qui tentaient de faire croire qu’un virus pouvait être un châtiment volontaire de la nature. "Que l’homme malmène la planète c’est vrai. Qu’il faille arrêter de la malmener c’est vrai. Qu’il faille mettre l’écologie au cœur du politique, c’est vrai. Mais venir nous dire que le virus, c’est le châtiment dû à nos crimes contre la planète, ça c’est idiot et c’est infâme. Ce discours-là, que ça soit celui de l’extrême droite qui nous parlait de châtiment divin, ou de l’extrême gauche qui nous parlait d’un ultimatum de la planète, pour une oreille française ça sentait mauvais. Ça sentait le pétainisme. C’était dire vous avez exagéré, vous allez être châtié. C’était ça le pétainisme" dans les années 30. "On a retrouvé chez les écrivains de 1940 des phrases qui auraient pu être prononcées par les collapsologues de la France d’aujourd’hui à propos du Covid."

3 solutions : démocrature liberticide, décroissance meurtrière ou retouches au système existant

Enfin, Bernard-Henri Lévy voit "3 solutions" pour le monde d’après. "La première c’est l’ordre chinois, à travers le modèle disciplinaire que les Chinois proposent au monde et que nous sommes en train d’embrasser. Détestable."

"Il y a une deuxième solution : c’est la frugalité, la décroissance, interrompre la mondialisation, c’est mettre durablement le doigt sur le bouton pause. D’accord : ça veut dire un milliard d’humains, peut-être, ou deux, envoyés à la casse à l’autre bout de la chaine si on fait comme ça." En effet, l’arrêt de l’économie comme on la connait désormais, "dans les parties les plus déshéritées du monde, cet arrêt de la planète, ça a des effets concrets et comptables en vies humaines. Dans des endroits du monde où les travailleurs sont tous précaires, où on est au bout de la chaîne de la mondialisation, où on vit en dessous du seuil de pauvreté, là, cette idée du disjoncteur sur lequel on appuie et de l’interruption mondiale, ça veut dire quand même la plongée dans les ténèbres."

Le futur qu’on va emprunter, "il y en a un troisième, qui est beaucoup plus modeste et qui est celui pour lequel je me bats depuis 40 ans, 50 ans, c’est le monde d’avant inlassablement réparé. C’est s’employer avec ses moyens à réparer ce monde qui nous est donné. Et ça je crois que c’est la solution la plus raisonnable, la plus efficace, la moins dangereuse."

 

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