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Twitter savait que "l'enfer allait se déchaîner" sur la plateforme dès lors qu'elle épinglait des messages "trompeurs" de Donald Trump, et ce n'est pas fini, car les deux ennemis semblent déterminés à en découdre via des tweets et batailles en justice.
Et Twitter a encore des munitions.
Le président américain a frappé un grand coup jeudi en signant un décret visant à limiter la protection judiciaire des réseaux sociaux afin selon lui de "défendre la liberté d'expression".
Mais "Twitter fait preuve d'une volonté toute renouvelée d'appliquer ses règles", relève Daniel Kreiss, un professeur de l'université de Caroline du Nord, spécialisé dans la politique et les médias sociaux.
Et la plateforme dispose d'une batterie d'outils pour modérer les contenus qui enfreignent son règlement.
Jusqu'à présent, le réseau des gazouillis ne s'était jamais attaqué au volubile homme d'Etat, qui régale ses 80 millions d'abonnés avec des tirades quotidiennes, annonces politiques, attaques personnelles, théories du complot, propos de campagne...
Mais Twitter a récemment renforcé ses méthodes de "fact-checking" (vérification des faits) contre la désinformation considérée comme "nuisible" - des messages qui peuvent nuire à la santé des personnes (faux remèdes miracles contre le Covid-19), des infos erronées sur le processus électoral, ou encore des incitations à la violence.
"La pandémie a fait évoluer la position de Twitter sur le potentiel dangereux de la désinformation", estime Tiffany Li, de la Yale Law School Information Society Project.
- Escalade -
Mardi, quand les modérateurs de la plateforme ont signalé deux tweets du président américain avec la mention "vérifiez les faits", la décision d'intervenir avait été prise au sommet, en connaissance de cause.
L'entreprise était convaincue de son bon droit, mais "nous savions que du point de vue de la communication, l'enfer allait se déchaîner sur nous", a raconté Brandon Borrman, le vice-président de Twitter chargé de la communication, au blog OneZero sur Medium.
Il n'avait néanmoins pas prévu que le milliardaire s'en prenne directement à un responsable de la plateforme, désigné comme bouc émissaire.
"Si quelqu'un doit être tenu responsable des actions de notre société, c'est moi", a réagi mercredi Jack Dorsey, le patron de la société, avant de rappeler les principes justifiant la vérification des faits.
Vendredi, visiblement déterminé à ne pas se laisser impressionner par le décret et le flot de messages injurieux, le réseau a masqué un message de Donald Trump sur les affrontements de Minneapolis pour signaler une "apologie de la violence".
Au nom de l'exception dite "d'intérêt public", le tweet du président est resté accessible, mais il est désormais impossible de le retweeter, de le "liker" ou d'y répondre.
Outre le signalement et le "masque", Twitter peut avoir recours au "déclassement" (qui limite la visibilité) et même au retrait.
"Je ne pense pas qu'il y aura de suppression" des messages de Donald Trump, note Daniel Kreiss, pariant plutôt sur les mesures qui limitent leur portée.
La règlement de la plateforme indique que les "dirigeants ne sont pas totalement au-dessus de nos règles", et qu'elle se réserve le droit de retirer les tweets promouvant le terrorisme, la violence ou comportant des données privées sur d'autres personnes.
- A qui profite le crime -
Elle peut aussi suspendre ou supprimer des comptes pour des violations répétées.
Mais "ils ne vont pas vouloir prendre un tel risque" avec le compte du président, juge Steven Livingston, directeur de l'institut Données, Démocratie et Politique de la George Washington University.
Twitter va devoir soigneusement évaluer sa capacité à résister si la Maison Blanche et ses alliés continuent de faire monter la pression, analyse-t-il.
Vendredi, le sénateur républicain Ted Cruz a appelé le ministère de la Justice à enquêter sur le réseau de Jack Dorsey pour non-respect des sanctions contre l'Iran, parce que la plateforme refuse de bannir l'ayatollah Ali Khamenei.
Ajit Pai, le président de l'autorité fédérale de régulation des communications (FCC), a de son côté demandé à Twitter si les messages d'Ali Khamenei (qui appelle au jihad en Palestine, notamment) "n'enfreignaient pas les règles" du réseau sur l'apologie de la violence.
Au final, le clash Twitter vs Trump pourrait bénéficier aux deux parties, observe Daniel Kreiss.
"Ironiquement, c'est une bonne chose pour Twitter parce que le groupe se retrouve au centre d'un débat fondamental à l'approche des élections de 2020, et cela va augmenter l'utilisation de la plateforme", fait-il valoir.
Le président a assuré pendant la signature du décret qu'il ne quitterait pas son réseau de prédilection, au motif qu'il ne pouvait pas s'en remettre à la presse américaine, "pas honnête".
Le conflit "lui donne des ailes et l'aide à mobiliser sa base", note Daniel Kreiss.