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Après des années de recherches des ayants droit, la Belgique a restitué jeudi un tableau expressionniste des Musées royaux des Beaux-Arts dont un couple juif avait été spolié par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle lance aussi un travail de recherche en ligne portant sur 2.800 autres œuvres d'origine incertaine. "Fleurs" (1913), du peintre expressionniste Lovis Corinth, a été volé par le régime nazi au couple Gustav et Emma Mayer, qui a brièvement vécu à Bruxelles pendant sa fuite de l'Allemagne nazie, avant d'atteindre l'Angleterre.
Le tableau avait été récupéré après la libération de Bruxelles et confié aux Musées des Beaux-Arts en 1951, faute de pouvoir en identifier les propriétaires. "Cette restitution, la première par les Musées des Beaux-Arts, est un signal très fort: même des décennies plus tard, la justice peut triompher", a commenté le secrétaire d'État à la politique scientifique, Thomas Dermine (PS), lors d'une cérémonie aux Musées des Beaux-Arts.
Ils sont très heureux, c'est très émouvant pour eux
La restitution a été décidée à la mi-2021, à la suite d'un travail de recherche relancé en 2008 et qui a connu une percée en 2016, après la mise en ligne d'un site web dédié aux biens culturels pillés.
La décision est fondée sur les "principes de Washington sur les œuvres d'art volées par les nazis" (1998) et s'inscrit dans la lignée des conclusions de la "commission Buysse" qui, de 1998 à 2001, a travaillé sur les biens juifs spoliés en Belgique, aboutissant au vote d'une loi ouvrant le droit à des dédommagements.
Les ayants droit n'ont pu se déplacer en Belgique pour réceptionner l'œuvre, notamment en raison des restrictions sanitaires. "Ils sont très heureux, c'est très émouvant pour eux", a assuré l'avocate chargée de les représenter, en remerciant les autorités pour le travail fourni. "C'est bouleversant de voir une œuvre quitter les collections du musée, mais nous sommes également heureux et émus de voir enfin ce tableau entre les mains de ses propriétaires légitimes", a commenté le directeur général du musée, Michel Draguet.
De son côté, le SPF Économie a annoncé la mise en ligne, dans une banque de données, de 2.800 œuvres obtenues par la Belgique après la Seconde Guerre mondiale et dont l'origine est douteuse, afin de favoriser l'identification d'éventuels ayants droit. "Cette base de données en ligne aidera les proches des victimes de l'occupation nazie, les chercheurs, les musées, le commerce de l'art et le grand public à identifier les œuvres", a souligné le ministre de l'Économie, Pierre-Yves Dermagne (PS), dans un communiqué.
Les œuvres de la période coloniale réinterrogées
Dans le même temps, les Musées royaux des Beaux-Arts ont inauguré ce jeudi deux salles, l'une sur la contextualisation des biens culturels pillés pendant la guerre, l'autre sur les questions de colonialisme et de diversité. Cette dernière est centrée sur le tableau-étude de Rubens longtemps connu sous l'appellation tardive de "Têtes de Nègres", aujourd'hui intitulé "Quatre études d'une tête". En précisant les faits et le contexte historiques liés à cette œuvre, le musée entend fonder le débat sur des bases plus scientifiques.
L'héritage colonial fait aussi partie des questionnements des Musées. Le gouvernement a approuvé récemment un cadre juridique sur la possibilité de restituer à la République démocratique du Congo des œuvres issues de la période coloniale. "L'héritage colonial, le sort des biens juifs spoliés, la place de la femme dans l'histoire de l'art, les modalités de ses représentations et la violence qui lui a été faite au fil de l'histoire, la question écologique et le rapport à la nature, etc.
Autant de questions qui conduisent à interroger les œuvres", souligne Michel Draguet. L'idée est de donner les clés au public pour mener un débat sociétal éclairé, a confirmé Inga Rossi-Schrimpf, directrice des collections et des recherches.
Avec sa campagne "Museum in Questions" lancée à l'automne dernier, les Musées royaux s'inscrivent dans un courant mondial des grands musées, qui reconsidèrent les titres de leurs œuvres d'art. Ils répondent ainsi "à un sentiment de discrimination ou de manque de respect relevé par certains groupes de la population". L'appel à plus d'inclusion dans les musées s'est renforcé ces dernières années avec des mouvements internationaux tels que ceux de la communauté LGBT, de "MeToo" ou de Black Lives Matter, rappelle l'institution, bien décidée à faire de l'art un espace plus inclusif.