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Séoul veut des bébés mais les femmes moins

Quand Ashley Park a commencé comme commerciale dans une entreprise pharmaceutique de Séoul, elle était forte d'un cursus universitaire impeccable, d'un anglais parfait et d'une bonne réputation auprès de ses collègues. Mais son employeur a balayé tout cela quand elle est tombée enceinte.

"Ils m'ont dit carrément qu'ils n'avaient pas de place pour une femme avec un enfant et que je devais démissionner", raconte à l'AFP la jeune femme de 27 ans.

Elle réalisa tout d'un coup, neuf mois après son embauche, que toutes ses collègues étaient célibataires ou sans enfant, et avaient moins de 40 ans pour la plupart.

Son cas illustre parfaitement les raisons pour lesquelles les Sud-Coréennes hésitent à se marier et à faire des enfants. Le taux de natalité, parmi les plus faibles du monde, recule.

Le gouvernement vient d'annoncer une panoplie de mesures pour tenter de renverser la tendance mais les esprits chagrins jugent qu'elles n'auront guère d'effet face aux causes profondes du problème.

De nombreuses entreprises rechignent à employer des mères, mettant en doute leur capacité à effectuer les longues journées de travail qui sont la norme en Corée du Sud, et ne veulent pas payer les congés maternité.

Quand Mme Park avait refusé de partir, son patron l'avait harcelée sans relâche, lui interdisant de participer aux réunions et l'ignorant "comme si j'étais un fantôme invisible". La direction avait aussi menacé de licencier son mari, employé par la même entreprise.

Après avoir lutté plus de six mois, elle finit par craquer et démissionner. Un mois plus tard, elle accouchait d'une petite fille et depuis, hormis un bref contrat dans une start-up, elle est mère au foyer.

"J'ai étudié et travaillé si dur pendant des années pour obtenir un emploi à un moment où le taux de chômage des jeunes était si élevé. J'aimais tant mon travail et regardez ce qui m'est arrivé".

- "Grève des naissances" -

Elle a participé à de nombreux entretiens d'embauche, essuyant des refus dès son statut de mère connu. Elle a renoncé à trouver un emploi, cherchant à monter sa propre affaire commerciale.

"Le gouvernement n'arrête pas de dire aux femmes d'avoir plus d'enfants mais comment faire dans un pays comme celui-ci?", demande-t-elle.

Le taux de fécondité, le nombre moyen d'enfants qu'une femme est susceptible de mettre au monde, est tombé à 0,95 au troisième trimestre, bien loin des 2,1 nécessaires au renouvellement des générations.

Conséquence de cette "grève des naissances", la population sud-coréenne, 51 millions d'habitants, commencera à reculer en 2028.

Coût de l'éducation, chômage des jeunes, longues journées de travail, manque de structures de garde, les causes sont multiples.

Lorsqu'elles parviennent à garder leur emploi, les mères font face à une double journée car elles assurent l'essentiel des tâches ménagères.

Les valeurs patriarcales restent profondément enracinées. Selon une étude officielle, 85% des Sud-Coréens sont favorables au travail des femmes mais ce chiffre dégringole à 47% quand il s'agit de leur propre femme.

Le taux d'emploi des hommes et des femmes mariés est très différent, respectivement de 82 et 53%.

- "Conditions difficiles" -

Aujourd'hui, près de 75% des Sud-Coréennes entre 20 et 40 ans pensent qu'il n'est pas nécessaire de se marier, selon un sondage. Or, quasiment tous les enfants ont des parents mariés en Corée du Sud.

Depuis 2005, le gouvernement a dépensé la somme colossale de 136.000 milliards de wons (107 milliards d'euros) pour tenter d'inverser la tendance, sans succès.

En début de mois, il a annoncé de nouvelles mesures, comme le fait de raboter d'une heure par jour la journée de travail des parents de jeunes enfants.

Des crèches supplémentaires vont être construites et les hommes seront autorisés, mais pas obligés, à prendre 10 jours de congé paternité (contre trois aujourd'hui).

Mais nombre de ces mesures ne sont pas contraignantes. Les entreprises qui ne s'y plieraient pas ne sont menacées d'aucune sanction.

"La politique du gouvernement est fondée sur cette idée simpliste que +si on leur donne plus d'argent, les gens auront plus d'enfants", a réagi L'Association des salariées coréennes.

Séoul doit s'atteler au premier chef "aux discriminations sexuelles persistantes au travail et au double fardeau féminin du travail et des tâches ménagères".

Cette politique "sans éclat" produira-t-elle ses effets si le gouvernement ne prend pas à bras le corps les vraies raisons pour lesquelles les femmes n'ont pas d'enfants?, s'est demandé le journal centriste Korea Times.

"Si les conditions difficiles faites aux femmes ne changent pas, aucune subvention publique ne les convaincra qu'avoir des enfants est un choix heureux."

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