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Suicides à France télécom: pour l'ex-numéro 2, l'entreprise allait "dans le bon sens"

Les dirigeants de France Télécom étaient-ils déconnectés des salariés? Alors que les alertes sur la souffrance au travail se multipliaient à la fin des années 2000, l'ex-numéro 2 a expliqué jeudi au tribunal que pour lui, l'entreprise faisait "les bonnes choses" et "allait dans le bon sens".

France Télécom et ses anciens dirigeants sont jugés depuis le 6 mai pour "harcèlement moral", une première. Ils sont soupçonnés d'avoir mis en place "une politique d'entreprise visant à déstabiliser les salariés et à créer un climat professionnel anxiogène". A l'été 2009, la crise des suicides atteignait un pic.

Les propos de Louis-Pierre Wenès, l'ex-numéro 2, qui était directeur d'Opération France et de ses 80.000 salariés, ont de quoi surprendre. "J'avais le sentiment qu'on faisait les bonnes choses, qu'on était sur la bonne voie et qu'on était en train d'embarquer les équipes avec nous".

Il s'appuie pour cela sur un questionnaire envoyé aux salariés par la direction avant l'été 2009. Plus de 29.000 personnes ont répondu, de manière anonyme. Parmi les résultats: 86% des managers et 71% des collaborateurs estimaient avoir progressé dans leur métier en un an.

M. Wenès évoque un autre rapport selon lequel 86% des managers et 68% des collaborateurs étaient fiers d'appartenir au groupe.

"Le questionnaire me renvoie le message d'une société qui va dans le bon sens".

Les avocats de la partie civile mettent en avant "le hiatus énorme" entre ces résultats et d'autres enquêtes. "Quelques mois plus tard, quand Stéphane Richard prend les rênes de l'entreprise, il parle d'un malaise profond", rappelle Me Frédéric Benoist.

"Parmi mes clients, personne n'a vu passer ce questionnaire, ne s'y est intéressé", explique sa consoeur Me Sylvie Topaloff. A demi-mot, elle accuse les questions d'être orientées.

- "Respect de l'homme" -

La partie civile retient un autre sondage, celui de l'observatoire du stress, créé en 2007 par les syndicats CFE-CGC et SUD. Quelque 3.200 personnes répondent: 66% d'entre elles se disent en situation de stress. Mais le site de l'observatoire est bloqué par le DRH Olivier Barberot, qui ne veut "pas privilégier deux syndicats".

En juillet 2007, le comité national d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail formule un droit d'alerte. "Attention, danger de mort. Nous vous avons alerté: demain à France Télécom, nous ne pourrons pas dire: + Je ne savais pas + ou + Si j'avais su +".

En 2008, les médias commencent à parler des suicides. "On était au début des subprimes. J'étais polarisé pour qu'on ne retombe pas dans la dette", répond l'ex-PDG Didier Lombard, interrogé sur un article qu'il n'aurait pas vu.

A Bordeaux, à Rouen, des inspecteurs du travail alertent. "Je vous demande de bien vouloir suspendre les réorganisations en cours afin de tenter de retrouver un climat de travail stable et serein", écrit un inspecteur fin 2008.

"Ce que l'on voit, c'est une grande souffrance", pour Me Topaloff. "Je ne suis pas d'accord sur ce mot de souffrance", lui répond Louis-Pierre Wenès, déclenchant un brouhaha dans le public.

Il y a surtout l'enquête Technologia, entre septembre 2009 et juin 2010. "La situation était alarmante", a expliqué au début du procès Jean-Claude Delgenes, le directeur de ce cabinet opérant dans la prévention des risques liés au travail.

Comment expliquer un tel écart par rapport au questionnaire de la direction, alors que seulement quelques mois ont passé? "A partir de mi-2009, on parle beaucoup des suicides. (...) Cela a pu faire changer le ressenti", tente M. Wenès. "D'un seul coup, je me retrouve au milieu de ça. Je suis choqué. Je me dis: + c'est pas possible +".

Il a dû quitter France Télécom en octobre 2009.

"Je ne suis pas né avec une cuillère d'argent dans la bouche: les gens dont on parle, j'en ai dans ma famille. J'ai un profond attachement à la vie et au respect de l'homme", dit-il. Des paroles rares dans ce procès où les prévenus se sont peu adressés aux victimes. Dans la salle, le silence est total.

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