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Les indépendantistes taïwanais descendent dans la rue samedi pour une manifestation qu'ils espèrent spectaculaire. En tout cas, il s'agira d'un défi lancé à Pékin et d'un casse-tête pour le gouvernement de l'île.
Ce rassemblement se tient alors que la Chine devient de plus en plus dure face à Taïwan. La présidente Tsai Ing-wen marche quant à elle sur des oeufs, prise entre l'enclume du géant asiatique et le marteau des indépendantistes.
La Chine continentale et Taïwan sont dirigés par des régimes rivaux depuis 1949, après une guerre civile entre communistes établis à Pékin et nationalistes du Kuomintang (KMT) réfugiés à Taipei.
La Constitution actuelle de Taïwan héritée du KMT définit l'île comme la "République de Chine" représentant toute la Chine, pas une entité séparée.
Les manifestants exigeront samedi un référendum sur une déclaration officielle d'indépendance, à l'appel de la nouvelle Alliance Formose, soutenue par les anciens présidents Lee Teng-hui et Chen Shui-bian.
C'est la première manifestation potentiellement importante pour demander que les Taïwanais votent sur l'indépendance depuis que l'île est devenue une démocratie il y a plus de 20 ans.
Les organisateurs espèrent 100.000 personnes.
"Chaque Taïwanais doit pouvoir choisir l'avenir de Taïwan. La décision appartient aux 23,57 millions de Taïwanais, pas à la Chine et (à son président) Xi Jinping", souligne Kuo Pei-horng, qui dirige l'Alliance.
Taïwan se considère comme un Etat souverain mais n'a jamais déclaré son indépendance. Pékin a prévenu qu'il userait de la force si Taïwan tentait un divorce officiel.
La Chine a aussi averti l'Alliance qu'elle ne devait pas poursuivre sur cette "voie dangereuse".
- "Non à l'annexion" -
Mais M. Kuo, 63 ans, explique à l 'AFP que cela vaut la peine. "Si Xi était prêt à envahir Taïwan, ses troupes seraient déjà là, il aurait pu prendre n'importe quelle excuse pour le faire".
Huang Kuo-chang, président du Parti du nouveau pouvoir qui a fait ses armes lors du mouvement anti-chinois dit "des Tournesols" en 2014, enjoint la population à manifester "pour dire non aux ambitions d'annexion de l'île par la Chine".
Pékin est déjà courroucé par un référendum prévu en novembre sur une participation de l'île aux jeux Olympiques et autres compétitions sportives internationales sous la bannière "Taïwan".
La Chine est particulièrement susceptible quand il s'agit de l'utilisation de certains noms ou emblèmes considérés comme l'expression de la souveraineté taïwanaise. Sous la pression de Pékin, Taïwan doit concourir sous l'appellation "Taipei chinois".
Le Parti démocratique progressiste (PDP) dont est issue Mme Tsai penche traditionnellement du côté de l'indépendance mais celle-ci est favorable au maintien du status quo.
Ce qui n'a pas empêché les relations de devenir glaciales depuis son arrivée au pouvoir. Mme Tsai refuse d'avaliser la ligne de Pékin, à savoir que Taïwan fait partie d'une "Chine unique".
Pékin attaque sur de multiples fronts pour bouter l'île hors de l'arène internationale, en l'empêchant de participer à des conférences mondiales, en lui arrachant un par un ses alliés diplomatiques.
Mais par son approche mesurée, Mme Tsai s'est fait des ennemis parmi les indépendantistes du PDP.
D'après Jonathan Sullivan, directeur des programmes chinois à l'Université de Nottingham, les exigences de référendums sur les JO et l'indépendance reflètent leur déception.
- "Age d'or" -
"Ces tentatives symbolisent la frustration croissante face à une chef de parti précautionneuse punie par la Chine alors même qu'elle fait l'effort d'être prudente et conservatrice dans les relations" bilatérales, dit-il à l'AFP.
Quoi qu'il en soit, le sujet est épineux.
Pour tenir un vote public sur l'indépendance, il faudrait amender la loi qui interdit les référendums sur les changements constitutionnels et de souveraineté.
D'après les analystes, il est peu probable que Mme Tsai fasse amender la loi, car cela reviendrait à agiter un drapeau rouge au nez de Pékin.
Le PDP a interdit à ses représentants et ses candidats de participer à la manifestation qui se tiendra devant le siège du parti, dans le centre de Taipei.
Les indépendantistes considèrent qu'il est urgent d'agir malgré tout car c'est la première fois que le PDP détient à la fois l'exécutif et la majorité parlementaire.
"C'est l'âge d'or pour faire avancer la cause" indépendantiste, explique Chang Ya-chung, analyste à l'Université nationale de Taïwan.
Certains électeurs sont d'accord. "Je crois que la conscience taïwanaise se développe, le consensus pour corriger le nom de notre pays augmente aussi", estime Hung Pang-ren, étudiant de 23 ans.
D'autres sont plus prudents. "Taïwan est déjà défavorisé à l'international. Si Tsai bouge pour l’indépendance, nous serons marginalisés encore davantage", dit Kuo Yu-hsuan, étudiante de 20 ans.