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Il avait été découvert il y a cinq ans dans un grenier toulousain, gris de crasse, sous de vieux matelas. Le tableau attribué au Caravage et représentant Judith décapitant Holopherne est présenté au public à partir de lundi à Toulouse avant sa vente aux enchères le 27 juin dans la Ville rose.
"Aujourd'hui, estimer un tableau de Caravage n'est pas facile. Le marché des tableaux anciens n'est pas le marché de l'art contemporain. On va démarrer à 30 millions. On commence bas pour espérer monter", souligne le commissaire-priseur toulousain Marc Labarbe. Mais la toile pourrait atteindre entre 120 et 150 millions d'euros, soit la vente de l'année en France.
Si la plupart des experts, notamment Keith Christiansen, directeur du département des tableaux européens au Metropolitan Museum of Art de New York, y voient la main du grand maître du clair-obscur, d'autres émettent des doutes, considérant qu'il s'agit d'une copie de l'artiste flamand Louis Finson (1580-1617) qui a peint plusieurs toiles dans le style caravagesque.
L'huile de 144 sur 173 cm, réalisée en 1607, a été découverte en 2014 dans le grenier d'une vieille famille toulousaine qui compte dans ses aïeux un officier de l'armée napoléonienne qui l'a peut-être rapportée d'une de ses campagnes. Lors du dégagement des combles, le propriétaire tombe sur le tableau, représentant une scène biblique.
Le commissaire-priseur, appelé pour une première expertise et encore ému par cette découverte, poursuit : "Cela faisait pas mal de temps qu'on vidait son grenier pour des choses diverses, je n'imaginais pas qu'il puisse y avoir un tableau d'une telle puissance. Je n'aurais jamais imaginé avoir trouvé une oeuvre du Caravage. Le tableau était sale, on ne le voyait pas bien. Il était recouvert d'une sorte de brouillard blanc".
- "Magie et virtuosité" -
La toile au réalisme violent est très vite déposée à Paris chez Eric Turquin, principal expert français des maîtres anciens. "Toutes les analyses techniques nous mènent vers un tableau peint à Naples entre 1605 et 1610. Ca réduit considérablement le spectre. Car à Naples (à cette époque) il n'y avait pas d'autres grands peintres", selon M. Turquin.
"Et surtout les plus grands spécialistes de Caravage ont soutenu l'attribution. L'exécution, les coups de pinceau qui font 80 cm d'un coup, tout le monde ne sait pas faire ça. Dans ce tableau, il y a une magie, une virtuosité de la brosse", poursuit-il, plein d'enthousiasme.
L'attribution de toiles au grand maître du clair-obscur Michelangelo Merisi, dit le Caravage (1571-1610), est toujours difficile : il ne signait pas ses oeuvres et a souvent été copié.
La découverte avait été qualifiée de "très importante" par le ministère français de la Culture. Mais la toile ne rejoindra pas les collections françaises. Après l'avoir classée trésor national, empêchant sa vente à l'étranger jusqu'en novembre 2018, l'Etat français a laissé s'écouler le délai au cours duquel il pouvait l'acquérir.
"Son attribution à l'artiste lombard n’est pas assurée : compte tenu des incertitudes subsistant quant à l’attribution à Caravage, l'État français ne peut se porter acquéreur de cette œuvre", a rappelé le Musée du Louvre la semaine dernière.
Oublié pendant trois siècles, le peintre italien à la vie tumultueuse, voit son génie de nouveau reconnu à partir des années 50. "Caravage est sous les feux de l'actualité car il nous touche, nous parle, nous bouleverse. Il parle à la génération contemporaine", s'enthousiasme Eric Turquin qui loue la "beauté époustouflante" de la toile, véritable "hymne au courage, à l'énergie, au fait de ne jamais renoncer".
Le tableau est présenté au grand public jusqu'à dimanche à l'étude de Marc Labarbe avant la vente aux enchères du 27 juin à la Halle aux grains de Toulouse. "J'aimerais bien qu'il finisse dans un musée, cela me ferait plaisir. Mais je ne maîtrise pas ce qu'en feront les acheteurs", conclut le commissaire-priseur.