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Sur la côte ouest du Groenland, dans les pas glacés de Paul-Emile Victor

Cinq bungalows pimpants accueillent aujourd'hui des touristes dans la baie de Quervain, sur la côte ouest du Groenland. Un peu à l'écart, la cabane d'un rouge passé abritait le point de départ des expéditions polaires françaises de Paul-Emile Victor, de 1948 à 1953.

"Port-Victor" pour les Français, "Egip Sermia" pour les Groenlandais. De cette base côtière, "sont parties et rentrées six campagnes d'été sur l'inlandsis (la calotte glaciaire) et deux hivernages en son centre", rappelle une plaque de bronze à l'entrée des trois pièces nues en bois brut, ouvertes aux vents.

Une longue table de travail et sans doute de repas, sur laquelle les nouveaux visiteurs immortalisent leurs initiales à coups de canif, constitue le seul mobilier.

Dehors, une croix sommaire - deux tubes d'acier perpendiculaires - salue la mémoire de deux membres d'une mission disparus le 4 août 1951.

Le visage cuit par 17 jours de camp sur la glace, Serge Aviotte, un compagnon tailleur de pierre originaire de la Drôme, spéléologue amateur de crevasses et admirateur de Paul-Emile Victor suit ses traces et ses cartes depuis 1989.

Lundi, lorsque débarque sur place le ministre du Développement durable Jean-Louis Borloo venu constater les effets du réchauffement climatique, il boucle tout juste sa quatorzième expédition. Autant que son illustre mentor, qui traversa pour la première fois le Groenland en 1936, d'ouest en est, en traineaux à chiens.

Sur le papier, il désigne le tracé des bédières, ces larges rivières bleutées qui conduisent les eaux du glacier à la mer, relevées par Paul-Emile Victor lors d'une série de reconnaissances entre 1948 et 1952: "Ces noms, bien français - Colorado, Seine...- ça supposait des gouffres très profonds", remarque-t-il.

Quand il débarque en 1989 pour la première fois à Ilulissat, la troisième ville du Groenland, à 220 km au nord du Cercle polaire, il ne s'est fait les crampons que sur la Mer de Glace de Chamonix.

Direction, l'inlandsis, la calotte glaciaire du Groenland parcourue de profondes entailles: Serge Aviotte y cherche les "moulins", ces galeries creusées par l'effet mécanique des chutes d'eau sur la glace, qui courent jusqu'à 180 m de profondeur.

"L'idée est de descendre le plus profondément possible", vers un spectacle inouï entre des parois opalescentes, bleues, vert émeraude. Même s'il ne repassera pas deux fois au même endroit, car la glace bouge: "On est des conquérants de l'éphémère".

Cette fois, il avait emmené avec lui, outre des scientifiques, le député UMP de la Drôme Gabriel Biancheri, féru d'alpinisme, et deux adolescents handicapés qu'il voulait aider à forcer leurs limites.

Au camp de base, l'équipe a encore profité des cèpes et des myrtilles sauvages, les "raisins d'ours" qui poussent au ras du sol, améliorant l'ordinaire des repas lyophylisés. Ensuite, les conditions étaient plus rudes.

"On a essuyé deux tempêtes de neige sur la calotte. Il y a dix ans, je n'avais jamais eu de telles variations de chaud et froid en septembre. En 89, à cette saison, c'était beaucoup plus froid", assure-t-il en notant également comme le "glacier recule: il est obligé de recréer une nouvelle moraine, plus basse".

Témoin malgré lui de la dégradation des régions arctiques, Serge Aviotte s'inscrit à sa façon dans la tradition des expéditions françaises aux pôles, depuis Dumont D'Urville ou Charcot jusqu'à la construction de la station scientifique Concordia en Antarctique.

Après sa visite, M. Borloo entendait bien l'aider à remettre en état la cabane rouge de PEV, avant que les assauts de l'hiver groenlandais ne lui soient fatals.

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