Un spectaculaire désert de sel, juché à 3.700 m sur l'altiplano des Andes, offre à la fois une attraction touristique emblématique de la Bolivie, et une clef de l'avenir économique du pays le plus pauvre d'Amérique du Sud.
Le lithium, métal mou et léger dont regorge le Salar d'Uyuni dans le sud de la Bolivie, est l'objet de convoitises minières internationales pour son rôle d'avenir dans les batteries de voitures électriques ou hybrides. Objet aussi d'inquiétudes locales pour le tourisme et l'environnement.
Le Salar d'Uyuni, pour l'heure, reste une époustouflante étendue blanche ou argentée de près de 12.000 km2 (la superficie de la région Ile-de-France), survivance d'un lac asséché il y a 40.000 ans.
"C'est incroyable. On a l'impression de marcher sur la lune", s'émerveille Hadat Ozer, 21 ans un de ces touristes venus en convois de 4x4 s'user les yeux sur l'irréelle blancheur. "On a aussi du sel en Israël, on a la Mer Morte. Mais ici, c'est vraiment immense".
Le sel est déjà exploité à Uyuni (25.000 tonnes par an), le tourisme va croissant. Mais l'avenir d'Uyuni, c'est le lithium, "l'or gris" de la Bolivie, dont 5,5 millions de tonnes, plus d'un tiers des réserves mondiales, affleurent sous les croûtes de ce salar à 550 km de la capitale La Paz.
Plusieurs groupes étrangers, dont le français Bolloré, les japonais Mitsubishi et Sumitomo, "ont fait des propositions concrètes" pour l'exploitation du gisement d'Uyuni, qui contient du lithium, de la potasse, du magnésium et du bore, a rappelé cette semaine le gouvernement bolivien.
La Bolivie aura en 2010 "une usine pilote opérationnelle pour la production du carbonate de lithium, la matière première si l'on veut", affirme le directeur du ministère des Mines Freddy Beltran. En parallèle se négociera l'appui d'une firme étrangère pour la phase post-industrielle.
Mais le gouvernement du socialiste et antilibéral Evo Morales -qui a nationalisé des filiales étrangères dans les secteurs pétrolier et gazier- prend son temps. Son fil rouge: la maîtrise par la Bolivie de ses riches ressources naturelles.
L'incertitude sur l'avenir ne plaît guère sur les bords du Salar, où le flux réguliers de touristes, venus de loin pour goûter aux charmes du paysage lunaire, de ses hôtels en sel, de ses "îles" de roches et cactus, représente au moins une certitude.
"On ne sait pas ce qui va se passer quand ils vont exploiter le lithium", explique Marta Flores, qui vend souvenirs et babioles en sel au village d'Uyuni. "On ne sait rien vraiment, certains disent qu'il pourrait y avoir de la pollution".
Les locaux et les tour-opérateurs conviennent que la moindre prospérité en plus serait bienvenue. Mais ils s'inquiètent des gardes-fous écologiques, de l'inévitable impact sur l'eau des activités minières.
"Ce sera productif, mais on va aussi voir des exploitations agricoles polluées. Et le désert va être truffé de mines de lithium", estime Juan Barcelona, un guide qui doute de la coexistence de l'extraction et du tourisme.
Un récent manifeste de groupements paysans et environnementaux, dont le Fonds bolivien pour l'Environnement, a posé ses conditions pour Uyuni: "un projet à 100% bolivien, pour préserver les droits des communautés locales, la protection de l'environnement et le contrôle d'une ressource stratégique".
"Il n'y a pas de date-butoir pour le choix d'un partenaire stratégique", rappelle le ministère.
Suggérant un sursis, pendant lequel les visiteurs du Salar se demanderont s'ils comptent parmi les derniers spectateurs privilégiés d'une beauté primitive et inviolée.
