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Procès en appel des écoutes perdues à Mons: "Nous devons exercer un pouvoir de contrôle sur les policiers"

Au départ il s’agit d’une affaire concernant une organisation criminelle présumée liée à de la culture et de la vente de cannabis. Mais juste avant l’ouverture du premier procès, nous vous révélions que des écoutes avaient mystérieusement disparu du dossier. Lors des audiences, il avait également été démontré que des enregistrements avaient été mal retranscrits ou mal interprétés. Cette problématique reste au cœur des débats pour ce procès en appel.

C’est un nouveau coup de théâtre qui a eu lieu lors de l’ouverture du procès en appel la semaine dernière. La présidente de la Cour a été contrainte de lire publiquement une lettre anonyme qui lui a été directement adressée dans le cadre de l’affaire. Le message envoyé par un corbeau fait état d’un lien de famille présumé entre un magistrat de Charleroi (qui est brièvement intervenu dans le dossier) et l’un des principaux suspects. La missive a ensuite été rajoutée au dossier déjà important et qui contient d'autres anomalies, comme la disparition de certaines écoutes.

La colère du juge lors du premier procès

Au début du premier procès, le cafouillage concernant cette "perte" avait été rectifié après que les greffiers avaient été appelés par le président Moulart afin d’expliquer au tribunal et aux avocats sur quels disques durs les fameux enregistrements se trouvaient.

Dans la foulée, Me Jean-Philippe Mayence, le célèbre avocat qui défend l’un des dirigeants présumés, avait fait écouter à l’aide d’un petit baffle certains extraits. Il s’agit d’écoutes directes, c’est-à-dire des micros cachés par exemple dans le véhicule du suspect ou dans le parloir d’une prison. Devant le tribunal, le ténor du barreau avait démontré que ce que le Tribunal entendait ne correspondait pas à ce qui avait été retranscrit par les policiers dans le dossier.

Un moment de vérité qui avait provoqué la colère du président qui, se rendant compte de la manipulation des propos, avait pris à partie les enquêteurs présents dans la salle pour assister aux débats en disant furieux : "Souvenez-vous qu'au final, ce sont les juges qui décident !"

Les écoutes doivent être entendues par tous les intervenants judiciaires: juges, procureurs et avocats

Lors du procès en appel qui a commencé la semaine dernière, le même problème a été souligné par Me. Olivier Martins. L’avocat a constaté, en épluchant les écoutes, que les propos rapportés comme étant ceux de son client n’ont en réalité pas été prononcés par lui.

Il dénonce le fait que les différents juges d’instruction du dossier ont fait confiance aveuglément aux policiers et n’ont pas écouté eux-mêmes les enregistrements : "Les écoutes doivent être entendues par tous les intervenants judiciaires. A savoir, juges, procureurs et avocats. Nous devons exercer ce pouvoir de contrôle sur des policiers qui peuvent se tromper et parfois nous tromper. A nous tous de remplir notre mission. Beaucoup trop de juges d’instruction n’exercent plus ce contrôle sur leurs enquêteurs, ce qui conduit à des inexactitudes qui sont sources d’erreurs judiciaires" explique t-il.

Une analyse soutenue par Me.Dimitri De Beco, qui intervient dans le dossier pour un suspect qui nie être l’un des dirigeants de l’organisation criminelle : "Je rejoins les observations de Me. Mayence et Me. Martins par rapport aux problèmes de retranscription des écoutes dans ce dossier. Il a été clairement démontré qu’il y a des interprétations erronées de certains propos. Il y a, à mon sens, un problème sérieux de loyauté."

Nous avons contacté l’un des dirigeants présumés de l’organisation criminelle. Il est libre en attendant la décision en appel. Sans parler du fond de l’affaire, il s’exprime par rapport à ce qu’il considère être des manipulations de l’enquête : "Nous avons constaté que les propos qui étaient en notre faveur n’étaient généralement pas retranscrits par les enquêteurs. Hors, ce sont les retranscriptions qui sont généralement analysées par les magistrats qui n’écoutent pas eux-mêmes l’ensemble des enregistrements. Dès lors, est-il raisonnable d'établir un jugement qui se base sur des preuves qui ont été volontairement truqués ?"

Des arguments qui seront vraisemblablement développés demain par Me. Jean-Philippe Mayence dans sa plaidoirie. Lors du premier procès, il avait demandé l'irrecevabilité des poursuites à cause de ces vices de procédures notamment au niveau des retranscriptions qui mettent à mal, selon lui, la crédibilité de l'enquête.

Les gérants d'un logiciel de messagerie contraints de remettre les échanges entre suspects

Durant les investigations, la Belgique a cependant obtenu une belle victoire grâce à la collaboration des justices canadienne et des Pays-Bas. En effet, pour la première fois, les gérants du logiciel de messagerie cryptée PGP (Pretty Good Privacy) ont été contraints de fournir les données de conversations entre plusieurs suspects dans le cadre de l’enquête.

A l’instar de Telegram, cette application permet d’envoyer des messages et d’avoir des conversations de manière cryptée. De manière générale, les suspects sont désormais très prudents avec les téléphones classiques et c’est ce type de messagerie qui est utilisé car les autorités rencontrent d’énormes difficultés à obtenir des données utiles pour les enquêtes.

Ces éléments de preuves seront-ils déterminants dans le cadre de cette affaire ? Non, d’après Me.Fabian Lauvaux, qui va aujourd'hui demander l’acquittement de son client : "Ce vaste dossier criminel comporte des carences en termes de preuves. De simples soupçons ou des éléments épars ne peuvent à eux seuls fonder une preuve complète emportant la conviction des juges."

Lors du premier procès les peines données allaient de 37 mois à 8 ans de prison. Le procès en appel concerne une dizaine de prévenus sur les 37 présents en première instance.

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