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Avec l'IA, "nous rentrons dans un monde très différent", selon un expert

L'intelligence artificielle va nous faire rentrer "dans un monde très différent", où l'on verra l'émergence de sortes de "baronnies féodales", avec des acteurs divers désireux de prendre de plus en plus de pouvoir, estime l'expert Jean-Gabriel Ganascia, professeur d'informatique à Sorbonne Universités.

Spécialiste de l'IA, auteur de plusieurs livres sur ce sujet, il est président du comité d'éthique du CNRS (Centre national de la recherche sicentifique).

Q: Que pensez-vous de la déclaration de Vladimir Poutine il y a quelques mois selon laquelle celui qui deviendra "leader" dans l'intelligence artificielle "sera le maître du monde"?

R: "C'est vrai que l'intelligence artificielle va jouer un rôle de plus en plus important dans les années à venir, un rôle qui va devenir stratégique.

Je ne dirais pas qu'il y aura un seul maître du monde. Mais il est clair qu'il y a des puissances dans le monde qui s'affrontent en utilisant l'IA. Ce ne sont pas que des Etats. Cela peut être des acteurs privés comme les géants du numérique, des groupes terroristes.

Aujourd'hui, on voit que la possession des données est déterminante. Leur exploitation permet de construire des connaissances extrêmement fines. Cela va aider les grands acteurs (comme les GAFA, des ONG ou des Etats) à asseoir ou conforter leur puissance.

Cela permet par exemple aux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) de fonder un modèle économique sur la publicité ciblée.

Mais il y a aussi de nouvelles formes de guerres, qui se pratiquent dans le cyberespace, sur le réseau où certains acteurs comme des groupes terroristes ou des mafias jouent un rôle central en fomentant des attaques pour rançonner des institutions publiques ou des industriels.

Je crois que nous rentrons dans un monde très différent avec l'IA, avec l'émergence de +baronnies féodales+, impliquant des acteurs très divers, dont certains ne sont pas localisés sur un territoire précis, et qui cherchent à prendre un pouvoir de plus en plus conséquent".

Q: Parmi les risques possibles liés à l'IA, quel est celui qui vous paraît particulièrement fort ?

R "Beaucoup de gens laissent entendre que l'IA représente un danger existentiel pour l'Humanité. Mais ce n'est pas le cas actuellement. Le risque que les machines deviennent autonomes et dominent un jour l'Homme paraît très peu probable.

Le vrai risque c'est que derrière ces machines, il y ait des hommes qui prennent le pouvoir en se servant d'elles. Que des grands acteurs du numérique notamment s'emparent d'une partie de nos vies.

Ma conviction c'est que ces grands acteurs n'ont pas seulement une ambition économique mais aussi une ambition politique, en cela qu'ils veulent assumer à la place des Etats un certain nombre d'attributs de la souveraineté.

C'est tout particulièrement le cas des prérogatives régaliennes, comme la sécurité intérieure, la finance ou la justice. Mais cela peut aussi porter sur des domaines comme la santé ou l'éducation".

Q: Etes-vous favorable à la proposition du Québec de créer un Organisation mondiale de l'IA chargée de travailler sur les enjeux sociétaux et éthiques qu'elle pose?

R: "Il me semble mauvais qu'une agence de réflexion de ce type soit mondiale. Il faudrait qu'elle soit à la fois au niveau français et au niveau européen.

Cette structure ne pourrait pas être uniquement européenne car l'Europe est actuellement perçue comme très éloignée du citoyen et il y a d'autre part un risque d'entrisme des géants américains de l'internet dans les institutions européennes à travers les groupes de travail qu’elle met en place.

Le plus important serait de définir des stratégies industrielles nationales et européennes plus efficaces que celles qui ont été mises en place jusqu’ici. L'essentiel, c’est que les citoyens adhèrent aux évolutions technologiques en contribuant collectivement à l'élaboration des réflexions".

(Propos recueillis par Pascale MOLLARD-CHENEBENOIT)

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