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Matthieu Lépine, le prof qui alerte sur les accidents du travail

Une traque quotidienne sur les sites internet d'information, un objectif: "essayer d'éveiller les consciences" sur les accidents du travail en les recensant méthodiquement. Matthieu Lépine, jeune professeur d'histoire à Montreuil, s'y attelle chaque jour, refusant la banalisation du danger au travail.

"Je n'accuse personne. Je fais un simple recensement. Mon rôle n'est pas de remplacer l'inspection du travail", explique à l'AFP l'enseignant de Seine-Saint-Denis qui alimente sans relâche le compte Twitter @DuAccident qu'il a créé en janvier.

"Très vite, en quelques jours, 2.000 abonnés" le suivent. Dix mois plus tard, ils sont près de 17.000.

Chaque tweet débute en interpellant la ministre du Travail avec un "allo @murielpenicaud - c'est pour signaler un accident du travail". Avant un résumé des faits et un lien vers un article, le plus souvent de la presse régionale.

Le 24 octobre, un technicien décédé après une chute. Et des blessés: un ouvrier écrasé dans une scierie, un couvreur tombé d'un toit, un chauffeur brûlé dans la cabine de son camion, un autre coincé entre deux véhicules, un agent victime d'un arc électrique.

Dans ses tweets, Matthieu Lépine rapporte "les accidents graves ou mortels". Déjà plus de 700. Sur une carte, il épingle les accidents mortels qu'il a recensés en France depuis le début de l'année (322 au 16 octobre).

Vigie du travail qui blesse grièvement ou qui tue, il s'est "inspiré du travail de David Dufresne sur les violences policières" et de son "allo @Place_Beauvau - c'est pour un signalement".

Jeune papa de 33 ans, Matthieu Lépine est issu d'une famille originaire de Mayenne "à sensibilité de gauche" que lui ont "forcément transmis" son père "cadre bancaire" et sa mère "infirmière libérale". Avec son frère, charpentier à son compte, il discute "sécurité au travail".

"Cette sensibilité sociale, mes engagements passés politiques et syndicaux, tout est lié. Et dans mon parcours d'historien je me suis intéressé très tôt à l'histoire par le bas", précise l'ex-étudiant de l'université Rennes-II.

- "Un fait social" -

Pour lui, un accident du travail est "davantage un fait social qu'un fait divers".

Un livre a marqué ses débuts universitaires: "L'histoire populaire des États-Unis" de l'historien et politologue américain Howard Zinn, qui a mis en lumière les ouvrières de l'industrie textile, les syndicalistes ou les esclaves en fuite.

C'est à Rennes-II qu'il s'est "forgé son identité" en participant "de façon très soutenue" en 2006 à la longue mobilisation contre le contrat première embauche (CPE), sous la présidence de Jacques Chirac. "Pendant trois mois", ce sont "piquets de grève" ou "envahissement de la rocade" rennaise.

Licence, Master et Capes en poche, Matthieu Lépine débute comme enseignant stagiaire à Saint-Malo, avant d'être "catapulté" un an plus tard à Montreuil. Dans cette ville de banlieue à laquelle il est devenu "hyper attaché", il enseigne au collège Lenain de Tillemont, un établissement REP+ (réseau d'éducation prioritaire renforcé).

Passé par le Parti de gauche, il milite à La France insoumise jusqu'en 2017. Mais "je ne veux pas qu'on me colle le logo LFI et qu'on m'enferme dans un tiroir".

S'il avait "beaucoup travaillé sur la condition ouvrière et lu sur Jean Jaurès qui s'intéressait à la santé au travail", son intérêt particulier pour les accidents du travail vient d'une indignation.

Celle qu'il a ressentie en janvier 2016 quand Emmanuel Macron, à l'époque ministre de l'Économie, avait dit: "la vie d'un entrepreneur, elle est souvent plus dure que celle d'un salarié."

Matthieu Lépine se penche alors sur "la récurrence des accidents du travail" qui touchent surtout "le BTP, devant l'agriculture, le transport routier et l'industrie". Sur un blog et Facebook, il publie de façon épisodique un récapitulatif.

Puis, début 2019, "interpellé" par deux accidents mortels - un ouvrier sexagénaire, un jeune livreur à vélo -, il lance "sur Twitter ce travail beaucoup plus conséquent".

Sa satisfaction: "que des gens s'intéressent au sujet" qui, juge-t-il, devrait devenir "une cause nationale".

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