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Aéroport de Cayenne: Air Cocaïne pour Paris

Il a des dreadlocks dans le dos, un pantalon sous les fesses, une valise trop lourde et le regard fuyant. Michaël P. a été repéré par les douaniers dès son entrée dans l'aérogare de Cayenne. Dans son bagage, 4,6 kg de cocaïne.

Comme lui, ils sont des dizaines, chaque jour, à tenter d'importer directement de Guyane en France, par la voie des airs, de la cocaïne pure à 60 ou 70%. Si nombreux que les fonctionnaires des douanes ont bien conscience d'être submergés.

- "Monsieur, voulez-vous bien nous suivre ?", lui demande Christophe Ducoli, chef du service de la surveillance des Douanes dans l'aéroport. "Simple contrôle douanier"...

Rien de suspect dans son bagage à main, fouillé dans un petit bureau. Les choses se gâtent quand arrive sa valise noire, 27 kilos à la pesée. Elle est pleine de fruits et de légumes exotiques. Richard (un douanier qui ne révèle que son prénom et demande à ne pas être photographié) enfonce une pique dans une orange verte. Il en sent la pointe. L'odeur caractéristique des produits chimiques utilisés pour raffiner la cocaïne.

- "Ça sent bizarre, non ?"

- "Non..."

- "Vous savez ce qu'il y a dedans ?"

- "Non"

Un coup de cutter plus tard, un gros sachet de poudre blanche apparaît au coeur du fruit. Tassé, hermétique. Les dachines (tubercules ressemblant au céleri), aubergines amères, calous (sorte de gros cornichon) sont tous fourrés, ou presque. Du travail soigné, les sections recollées sont presque invisibles. Une demi-heure pour les ouvrir tous.

- "Je ne savais pas. C'est un copain qui m'a donné ça à emporter en France".

- "Oui, comme d'habitude. Garde ça pour le juge", lui sourit un autre douanier. "S'il est de bonne humeur, il te croira...".

Michaël est mis en "retenue douanière", le temps que les trois PV de procédure soient établis. La cocaïne testée, lui aussi, via l'urine, pour détecter s'il en a ingéré. Puis il sera transmis aux services anti-drogue de la PJ guyanaise.

Ce soir-là, sur le vol Air Caraïbes et le vol Air France à destination d'Orly, les douaniers vont aussi placer en retenue un colosse hollandais originaire du Suriname qui avait commis l'erreur, pour tenter de couvrir l'odeur de la drogue, de s'enduire de baume du Tigre.

"Il sentait tellement fort que cela a indisposé une des filles du contrôle des bagages à main, qui est allergique", dit Richard. "Elle nous a prévenus".

- "Vingt à trente mules par vol" -

Ses trois kilos et quelque de cocaïne étaient dans de grandes enveloppes plates, simplement glissées dans des porte-documents.

Une autre passagère qui a sonné au portique de détection métallique a subi une fouille à corps : elle portait de fines couches de poudre blanche sur elle, hanches et jambes, enveloppées selon la technique dite "de la momie". Déférée aux policiers de la Police aux frontières.

"Depuis Cayenne, un vol pour Paris sans saisie de drogue, ça n'existe pas", assure à l'AFP Christophe Ducoli. "En croisant nos données, nous sommes arrivés à une estimation de vingt à trente mules par vol. Certaines +in corpore+, qui ont avalé des boulettes notamment, ou dans les bagages".

Trente douaniers à l'aéroport, cela signifie une dizaine présents sur chaque vol pour Paris. Trois fonctionnaires sont immobilisés par la procédure sur une mule. Le calcul est simple: après trois mules détectées, les autres passent sans encombre.

"Les passeurs le savent, et ils sont malins", ajoute l'inspecteur. "Ils font souvent des écrans de fumée en envoyant d'abord des personnes qui vont flasher chez nous au début, pour nous égarer et nous faire perdre notre temps avec de petites quantités, puis les plus grosses passent derrière".

Quand des bagages ou des passagers suspects sont repérés mais ne peuvent être traités, faute de personnel, les signalements sont envoyés à Orly, en espérant que les collègues parisiens seront assez nombreux à l'arrivée.

A la préfecture de Guyane, le directeur de cabinet, Olivier Ginez, sait bien que "les mules, les douaniers les voient, les repèrent. Mais ils ne peuvent pas en arrêter dix, quinze, vingt par jour parce qu'ils ne peuvent pas les traiter. L'aéroport, c'est un goulot d'étranglement".

Il assure que sous peu "une stratégie va être définie, pour mettre en place des techniques de contrôle à 100% de tous les passagers en provenance de Cayenne à Orly. Tout ce qui est soupçonné sera contrôlé à Paris".

"C'est ce que les Hollandais ont mis en place à Amsterdam, pour les vols venant du Suriname: tout le monde passe au contrôle. Nous allons proposer ce genre de chose. Si pendant 3, 6 mois, c'est contrôlé à 100%, c'est fini. Les trafiquants chercheront d'autres routes", dit-il.

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