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Danemark: la géolocalisation dans la procédure pénale sur le banc des accusés

La géolocalisation dans la procédure pénale est-elle fiable? Au Danemark, une faille technique menace des milliers de dossiers sur lesquels plane le spectre de l'erreur judiciaire, et plus d'une trentaine de personnes ont déjà été remises en liberté.

Pas moins de 10.700 affaires traitées entre 2012 et 2019 doivent faire l'objet d'un réexamen à la lumière du "bug" décelé au printemps dernier par la police du royaume scandinave.

En cause, le dysfonctionnement d'un logiciel utilisé par la police pour convertir les données de géolocalisation récupérées auprès des opérateurs télécoms et qui empêche la transmission de certaines informations.

Par exemple, si un téléphone émettait cinq appels en une heure, le logiciel pouvait n'en convertir que quatre, omettant les données du cinquième appel.

Depuis l'identification du problème, 32 personnes condamnées ou en détention provisoire sont sorties de prison.

Nouveau coup de semonce en août quand la police fait état d'une défaillance dans la géolocalisation elle-même. Certaines coordonnées des antennes téléphoniques ne sont pas exactes.

Les informations tirées de carte SIM étrangères et celles de services disponibles sur d'autres supports que le téléphone (tels iMessage ou WhatsApp) sont également sur la sellette, l'ensemble des irrégularités faisant l'objet d'un audit externe lancé fin août.

"On ne peut pas vivre avec l'idée que des informations, qui ne sont pas exactes, peuvent envoyer des gens en prison", explique alors à la télévision le procureur général du royaume, Jan Reckendorff.

Depuis mi-août, il a suspendu pour deux mois l'exploitation des données des opérateurs télécoms lors d'un procès ou une enquête justifiant le placement en détention d'un suspect.

"C'est une décision tout à fait drastique mais nécessaire dans un état de droit", motive-t-il.

Pour éviter toute erreur judiciaire, le principe de précaution s'impose, estime le ministre de la Justice.

"Nous n'allons pas risquer que des innocents soient condamnés", résume Nick Haekkerup à l'agence locale Ritzau.

- La preuve scientifique en question -

Le président de la Fédération des téléopérateurs danois, Jakob Willer, exonère les entreprises, en faisant valoir que leur vocation première est de permettre la communication entre usagers.

"Nous comprenons pourquoi ces données ont de la valeur (pour des enquêtes criminelles) mais il faut être réservé dans leur usage. Ces données ont été créées pour des services télécoms, pas pour contrôler les citoyens et opérer une surveillance", souligne-t-il auprès de l'AFP.

L'enjeu est vertigineux, car si dans l'enquête judiciaire la géolocalisation n'atteint pas au statut de l'ADN, souvent considéré comme la "reine des preuves", sa valeur scientifique est rarement contestée, qu'il s'agisse d'incriminer ou de disculper.

"Jusqu'à présent les données des téléphones portables jouaient un rôle important dans les tribunaux car elles étaient considérées comme des preuves presque objectives", analyse Karoline Normann du barreau de Copenhague.

Pour l'avocate, "la situation a changé notre approche vis-à-vis des données des téléphones portables".

"Nous allons probablement les remettre en question de la même manière qu'on remet en question normalement un témoin ou d'autres types de preuves, quand on s'interroge sur les circonstances: qui produit la preuve, pourquoi et comment", estime-t-elle.

"Le mode de recueil des preuves scientifiques n'est pas infaillible", observe Etienne Vergès, professeur de droit à la faculté de Grenoble, spécialiste de droit privé et sciences criminelles. "Même l'ADN peut poser problème car il y a un ensemble de cas où des erreurs ont été faites que ce soit dans l'assemblage des kits, le recueil de l'ADN ou la méthode utilisée".

Dès lors qu'on a géolocalisé une personne avec son téléphone portable, cela signifie "que tel portable a déclenché une balise et se trouve dans une zone mais on ne sait pas si cette personne avait bien son téléphone portable avec elle ni même si la procédure pour identifier une zone est une procédure valable", dit-il à l'AFP.

Ainsi Karoline Normann espère voir la justice rouvrir le dossier de l'un de ses clients condamnés à trois ans et demi de prison pour extorsion.

Lui et trois de ses amis ont été condamnés pour avoir fait chanter les employés de cliniques de massage du centre de Copenhague, lesquels devaient contacter un numéro de téléphone.

"La seule preuve contre mon client était que son téléphone était près de celui du maître chanteur. Rien d'autre ne l'a placé à cet endroit, hormis les données de géolocalisation. Nous ne savons même pas s'il avait son téléphone sur lui", insiste l'avocate.

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