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Les "Chibanis" marocains, discriminés, font plier la SNCF en appel

Les cheminots marocains de la SNCF ont "gagné" après un long combat: la cour d'appel de Paris a condamné mercredi la compagnie ferroviaire dans l'affaire des 848 "Chibanis" qui la poursuivaient pour discrimination.

"La cour, sur le fondement combiné des législations européennes et du droit du travail français a constaté la réalité des différences de traitement alléguées alors que les salariés réalisaient les mêmes taches que les cheminots", a détaillé le parquet général de Paris dans un communiqué transmis mercredi soir à l'AFP.

"Elle a jugé que la SNCF ne démontrait pas que cette différence de traitement était justifiée par des raisons objectives", a ajouté le parquet, indiquant que la discrimination avait ainsi été "établie"pour l'ensemble des plaignants.

Les dommages et intérêts peuvent s'élever jusqu'à 290.000 euros par salarié, selon leur durée d'ancienneté, auxquels s'ajoutent l'indemnisation des préjudices moraux et ceux liés aux droits à la retraite et à la formation, selon le communiqué.

Au final, les dommages et intérêts dus par la SNCF pourrait avoisiner 180 millions d'euros, contre 170 prononcés en première instance, a estimé l'avocate des plaignants, Clélie de Lesquen-Jonas.

La centaine de Chibanis ("cheveux blancs" en arabe) présents mercredi à la cour d'appel avaient attendu une heure pendant que les avocats consultaient une partie des arrêts rendus.

Puis leur avocate est sortie, les bras en l'air et émue aux larmes, pour annoncer que c'était "gagné", avant d'être portée en triomphe. "C'est un grand soulagement, une grande satisfaction", a-t-elle commenté.

Après moult renvois et plus de douze ans de procédure pour certains, la quasi-totalité des plaignants avaient obtenu gain de cause devant les Prud'hommes en septembre 2015. Mais l'entreprise avait fait appel de cette décision.

Dans une déclaration à l'AFP, la SNCF a dit "prend(re) acte" de la décision rendue mercredi.

Ses avocats vont "étudier les décisions prises par la Cour d'appel pour chacun des 848 dossiers" et "à l'issue de cette analyse, SNCF Mobilités se réserve le droit d'un éventuel pourvoi en cassation", a-t-elle précisé.

- 'Blessure profonde' -

Les cheminots, marocains pour la plupart (la moitié ont été naturalisés), ont été embauchés entre 1970 et 1983 par la SNCF, majoritairement comme contractuels, et n'ont pas bénéficié à ce titre du "statut" plus avantageux des cheminots, réservé aux ressortissants européens, sous condition d'âge.

La disparition de cette clause de nationalité est notamment demandée par le syndicat SUD-rail, au côté des plaignants depuis le début, qui s'est "félicité" de cette condamnation. "La direction de la SNCF ne sort pas grandie de cette affaire" qu'elle aura fait "traîner", écrit-il dans un communiqué.

La RATP a, elle, supprimé une clause similaire de nationalité en 2002.

Des "contractuels sont partis (en retraite) à 65 ans, alors que les cadres permanents sont partis à 55 ans", a ainsi expliqué à l'AFP Brahim Ydir, un des plaignants. "On a travaillé dix ans de plus" qu'eux avec des salaires inférieurs, sans avoir "le droit de monter les grades" ni d'avoir accès "aux soins gratuits", a-t-il dit.

La décision de la cour d'appel est une "reconnaissance" des discriminations subies, cela "nous soulage un peu, mais la blessure est profonde", a réagi un autre plaignant, Ahmed Mikali, saluant une justice qui "a bien fonctionné dans ce cas".

Tout au long de la procédure, le groupe public ferroviaire a nié une "quelconque politique discriminatoire à l'encontre des travailleurs marocains", estimant avoir constamment "veillé à l'égalité de traitement de tous ses agents dans l'environnement réglementaire décidé par les pouvoirs publics".

Ce n'est pas l'avis du Défenseur des droits qui avait pointé, par la voix de son représentant, une discrimination "organisée, statutaire" qui n'est pas sans lien avec "notre histoire coloniale". Dans un tweet mercredi, il "se félicite de la décision de la cour d'appel de Paris".

Les parties s'étaient également opposées sur le montant des dommages et intérêts.

Les Chibanis ont demandé 628 millions d'euros en tout pour différents préjudices (carrière, retraite, formation, accès aux soins, santé, etc.), soit "700.000 euros par demandeur", selon la SNCF.

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