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Les coopératives permettent aux coursiers de "reprendre la main", selon une chercheuse

Organisés en coopératives, les coursiers veulent se libérer de "la chape de plomb" des plateformes de livraison, selon Chloé Lebas, doctorante en sciences politiques à l'université de Lille dont les recherches portent sur "l'ubérisation du marché du travail et les nouvelles formes d'action collective".

Question : Peut-on dresser un portrait robot des livreurs à vélo ?

Réponse : "On n'a pas vraiment de statistiques officielles. C'est une population qui est victime d'un énorme turn-over du fait de la précarité de l'activité. En 2017, quand la plupart des plateformes ont émergé, il s'agissait principalement d'étudiants ou des personnes qui avaient une activité à côté. Puis il y a eu une forme de professionnalisation avec des livreurs à plein temps, et toujours des étudiants de plus en plus précaires puisque bien souvent étrangers. Ensuite, les plateformes ont décidé soudainement de respecter la loi et d'interdire de recruter des personnes étrangères qui n'avaient qu'un visa d'étude et dont le statut juridique limite le nombre d'heures de travail hebdomadaire autorisées. Tous ces livreurs ont été déconnectés de l'application et ont perdu cette activité. On a vu apparaître ces deux dernières années une forme de sous-traitance, de location de comptes par des étrangers, tant étudiants que sans-papiers dont on a vu la mobilisation récemment chez Frichti."

Q : Qu'a changé la pandémie sur leurs conditions de travail ?

R : "Pendant le confinement, les conditions de travail ont été durcies parce que les livreurs devaient prendre en charge leur propre santé. Si les conditions de circulation étaient plus faciles, la peur de l'accident a été remplacée par la peur d'attraper le virus. S'ajoutait la menace des contrôles de police pour les livreurs sans papiers ou qui n'étaient pas en règle. Cependant, les livreurs qui ont continué de travailler, eux, ont augmenté leur chiffre d'affaires. Puisque l'objectif est d'avoir le plus de courses - car ils sont payés à la course et au kilomètre - la défection d'une partie de la +flotte+ profite à ceux qui restent. Ceux qui ont arrêté de travailler se sont retrouvés pour la plupart sans ressource, ayant le sentiment d'être sacrifiés et s'interrogeant sur l'utilité de cette activité. En même temps, les discours des plateformes, du gouvernement, des médias les ont présentés comme des +héros du quotidien+ qui permettaient aux personnes vulnérables de pouvoir se nourrir. Les plateformes ont diversifié leur activité en livrant des courses. Par exemple, les livreurs ont livré des packs d'eau, ce qui a accru la pénibilité de leur travail. Depuis le déconfinement, je constate une forme d'apathie et de résignation générale chez les livreurs avec énormément de turn-over."

Q : Que peut changer l'émergence des coopératives de coursiers ?

R : "Dans le cas des coopératives de salariés, c'est une manière de reprendre la main sur leur activité et d'acquérir une forme d'autonomie en échappant à la chape de plomb de la plateforme qui surveille, suit à la trace, rappelle à l'ordre. Il y a aussi la fierté d'avoir créé son entreprise. Les livreurs ne sont plus des salariés déguisés mais des salariés qui endossent le rôle de l'entrepreneur. Ces coopératives sont aussi la continuité des mouvements sociaux chez les livreurs. Elles sont souvent le fait de livreurs militants qui y voient un aboutissement de leur engagement, de livreurs qui se sont mis à aimer leur métier alors que le plus souvent ils y sont arrivés par défaut."

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