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Que se passe-t-il quand le corps d'un patient irradié est incinéré?

Fin 2017, un sexagénaire américain venant de recevoir une dose de lutetium 177, un traitement anticancéreux radioactif, est mort. Cinq jours plus tard, il a été incinéré. Trois semaines après, le docteur Nelson s'est inquiété.

Kevin Nelson, responsable de la sûreté des traitements radioactifs à la Mayo Clinic Arizona, n'a appris la mort de l'ancien patient qu'avec retard, car l'homme de 69 ans, qui était suivi pour une tumeur au pancréas, est décédé dans un autre hôpital.

En Floride, où il avait travaillé avant, il est interdit d'incinérer des corps contenant des produits radioactifs, mais est-ce le cas dans l'Arizona?

Non, aucune loi n'existe en Arizona sur le sujet, lui répond-on au Bureau de contrôle des radiations de l'Arizona, qui décide alors d'aller mesurer les radiations dans le crématorium, en compagnie du spécialiste.

"C'était un hasard que j'eusse moi-même déjà été confronté à une situation similaire auparavant, dans un autre Etat", dit à l'AFP le docteur Nelson. Un autre médecin n'y aurait peut-être pas pensé.

Un compteur Geiger-Mueller est mis en contact avec le four, un filtre d'aspirateur et le concasseur d'ossements du crématorium: des traces de radiation au lutetium sont détectées.

Les enquêteurs analysent aussi l'urine de l'employé du crématorium: aucune trace de lutetium... Mais ils détectent des faibles traces d'un autre produit radioactif, très utilisé dans les hôpitaux du monde entier pour des examens de diagnostic, le technétium 99 (en rayonnant, il permet de visualiser le fonctionnement d'un organe particulier).

L'employé du crématorium a donc vraisemblablement été contaminé en inhalant le technétium lorsque le corps d'un autre patient a été incinéré. La molécule s'est vaporisée dans l'air à haute température.

- "Très, très faible" -

Le cas est décrit mardi dans une lettre de recherche publiée par le Dr. Nelson et son collègue Nathan Yu, oncologue à la Mayo Clinic de Phoenix, dans le Journal de l'Association américaine de médecine (Jama).

"C'est la première fois que la contamination d'un équipement a été documentée", dit à l'AFP Nathan Yu.

Le niveau de radiation est "très, très faible", rassure Kevin Nelson. "Nous pouvons dire avec une grande certitude que l'opérateur du crématorium a reçu une dose de radiation très éloignée de la limite pour le grand public".

Avant d'incinérer un corps, les crématoriums retirent les pacemakers, défibrillateurs ou tout autre appareil pouvant exploser.

Mais le cas des produits radioactifs semble avoir été négligé dans la plupart des Etats américains. Aucune réglementation fédérale ne s'intéresse au sujet.

"Ce n'est pas quelque chose dont les gens sont au courant", dit Nathan Yu.

Dans le cas présent, l'employé a été contaminé par une dose non dangereuse.

Mais il existe beaucoup d'autres médicaments radiopharmaceutiques, avec des températures de volatilisation, des durées et des doses de radiation différentes, et pour lesquels "ce ne sera pas forcément pareil", dit le docteur Yu.

Quarante millions de traitements et examens de médecine nucléaire ont été réalisés dans le monde en 2006, écrivent les médecins, en citant les derniers chiffres mondiaux disponibles.

Ils appellent à mettre à jour les protocoles pour mieux évaluer ce risque.

Interrogée par l'AFP, l'Association américaine des directeurs de pompes funèbres n'était pas au courant du cas jusqu'à récemment. L'Association "souhaite que le problème soit mieux étudié et sollicite des recommandations" pour par exemple "évaluer la radioactivité chez les patients décédés".

En Virginie, le directeur du bureau de la santé radiologique confirme à l'AFP qu'il n'existe aucune réglementation liée à l'incinération, les crématoriums n'étant pas "des établissements ayant une license pour des matières radioactives".

Dans le Maryland, le président du Conseil des entreprises de pompes funèbres, Lynn Newman, confie son étonnement à l'idée que sa profession puisse être exposée à un risque d'irradiation.

"Cela ne m'a jamais traversé l'esprit", dit-il à l'AFP.

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