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Le Bélarus détourne et contraint un avion Ryanair d'atterrir à Minsk, un opposant a été arrêté

La compagnie aérienne irlandaise Ryanair a confirmé dimanche qu'un de ses avions avait été détourné pour atterrir au Bélarus lors d'un vol entre Athènes et Vilnius en Lituanie.

Un chasseur bélarusse a intercepté dimanche un avion de ligne de la compagnie RyanAir à bord duquel se trouvait un militant de l'opposition qui, selon cette dernière, a été interpellé à son arrivée à Minsk, suscitant la colère des Européens.

Le média d'opposition Nexta a affirmé que son ancien rédacteur en chef Roman Protassevitch avait été arrêté par les services de sécurité après l'atterrissage d'urgence à l'aéroport de la capitale du Bélarus de ce Boeing 737-800 en provenance d'Athènes et avec pour destination Vilnius, en Lituanie. Les dirigeants de l'Union européenne ont appelé de concert le Bélarus à laisser repartir cet appareil et permettre à "tous ses passagers" de poursuivre leur voyage, fustigeant "une action complètement inacceptable", à l'instar de plusieurs de ses Etats membres comme l'Allemagne, la France et la Pologne.

Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, dénonçant un "acte de terrorisme d'Etat", a demandé au président du Conseil européen Charles Michel que l'UE discute dès lundi de "sanctions immédiates" contre le Bélarus. Un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement des 27 est prévu pour lundi et mardi. Le ministère bélarusse de l'Intérieur a confirmé dans un premier temps sur Telegram l'interpellation de Roman Protassevitch, avant de supprimer ce message, a constaté une journaliste de l'AFP.

"En conformité avec les règles"

Le Bélarus a assuré lundi avoir agi dans la légalité en interceptant un vol commercial après une alerte à la bombe, rejetant les accusations des Européens qui suspectent Minsk d'avoir détourné l'avion pour arrêter un opposant à bord.

"Il n'y a aucun doute que les actions de nos organes compétents étaient en conformité avec les règles internationales", a indiqué le ministère des Affaires étrangères sur son site, rejetant les "accusations sans fondement" de pays européens, accusés de "politiser" l'incident.

Des agents des services de sécurité bélarusses soupçonnés de se trouver à bord

Des agents des services de sécurité bélarusses (KGB) sont soupçonnés de s'être trouvés dans l'avion de Ryanair détourné par les autorités bélarusses, qui ont arrêté un opposant présent à bord, a affirmé lundi le patron de la compagnie aérienne irlandaise, Michael O'Leary. Comme le gouvernement irlandais, M. O'Leary a dénoncé un acte de "piraterie" soutenu par le Bélarus.

"Il apparaît que l'intention des autorités était de faire sortir un journaliste et la personne qui voyageait avec lui", a-t-il expliqué sur la radio irlandaise Newstalk.

"Nous pensons que des agents du KGB ont été débarqués à l'aéroport également", a-t-il ajouté, évoquant un incident "très effrayant" pour les passagers et l'équipage. "Je pense que c'est la première fois que cela arrive à une compagnie aérienne européenne".

Une alerte à la bombe "erronée"

Selon les autorités, l'avion a dévié de sa trajectoire à cause d'une "alerte à la bombe". Nexta a affirmé que l'atterrissage d'urgence avait été suscité par une "bagarre" déclenchée par des agents des services de sécurité bélarusses, présents à bord et qui affirmaient qu'un engin explosif se trouvait dans l'appareil. L'aéroport de Minsk, cité par l'agence de presse officielle Belta, a affirmé que l'alerte à la bombe s'était révélée "erronée" après une fouille du Boeing.

Le président bélarusse Alexandre Loukachenko a quant à lui donné l'ordre personnellement à un avion de chasse MiG-29 d'intercepter l'avion après cette alerte, a dit son service de presse.  

A l'été et à l'automne derniers, M. Loukachenko a été confronté à mouvement de contestation historique ayant rassemblé pendant plusieurs semaines des dizaines de milliers de personnes à Minsk et dans d'autres villes, une mobilisation énorme pour un pays d'à peine 9,5 millions d'habitants.

Mais la protestation s'est progressivement essoufflée face à des arrestations massives, des violences policières ayant fait au moins quatre morts, un harcèlement judiciaire permanent et de lourdes peines de prison infligées à des militants et à des journalistes. 

En novembre dernier, les services de sécurité bélarusses (KGB), hérités de la période soviétique, avaient placé M. Protassevitch, âgé de 26 ans, et le fondateur de Nexta, Stepan Poutilo, sur la liste des "individus impliqués dans des activités terroristes". L'actuel rédacteur en chef de Nexta, Tadeusz Giczan, a assuré que des agents du KGB bélarusse étaient à bord de l'appareil.

L'arrestation du militant condamnée par plusieurs pays

"Quand l'avion est entré dans l'espace aérien bélarusse, les officiers du KGB ont déclenché une bagarre avec le personnel de Ryanair", a affirmé M. Giczan, les agents soutenant qu'une bombe était à bord. Contactée par l'AFP, une porte-parole des aéroports lituaniens a dit avoir reçu comme première explication de le part de l'aéroport de Minsk un conflit entre des passagers et l'équipage. D'après les images du site internet spécialisé flightradar24, le Boeing a été intercepté au-dessus du territoire bélarusse, juste avant la frontière avec la Lituanie, un pays balte membre de l'Union européenne. 

Roman Protassevitch est l'ancien rédacteur en chef de Nexta, un média ayant joué un rôle clé dans la récente vague de contestation de la réélection en 2020 du président Loukachenko, qui occupe ces fonctions depuis 1994. Fondé en 2015, Nexta ("Quelqu'un" en bélarusse) avait notamment coordonné les rassemblements à travers le Bélarus, diffusant des mots d'ordre et permettant de partager les photos et les vidéos des rassemblements et des violences.

L'arrestation du militant a été immédiatement condamnée par la figure de l'opposition bélarusse en exil, Svetlana Tikhanovskaïa. Sur Twitter, elle a assuré que Roman Protassevitch encourait "la peine de mort". L'ancienne république soviétique du Bélarus est le dernier pays en Europe à appliquer la peine capitale. L'Allemagne a réclamé une "explication immédiate" après le déroutage de l'avion et la France a dénoncé un "détournement" d'avion "inacceptable".

Le président de la Lituanie, Gitanas Nauseda, dont le pays a accordé le statut de réfugié à Roman Protassevitch, a quant à lui condamné "un événement sans précédent", accusant le régime bélarusse d'avoir été derrière "cet acte abject".

Svetlana Tikhanovskaïa vit elle aussi en exil en Lituanie. La répression en cours au Bélarus a valu à Minsk une batterie de sanctions occidentales qui ont conduit Alexandre Loukachenko à se rapprocher davantage de son homologue russe Vladimir Poutine.

Le sommet de l'UE discutera de "possibles sanctions" contre le Bélarus

Les chefs d'Etat et de gouvernement des Vingt-Sept, réunis en sommet lundi et mardi, discuteront de "possibles sanctions" de l'UE contre le Bélarus, qui a forcé un avion de ligne à atterrir à Minsk et arrêté un opposant présent à son bord, a annoncé le Conseil européen.

Le président du Conseil, Charles Michel, mettra à l'ordre du jour du sommet l'incident du Boeing de Ryanair dérouté dimanche, et "les conséquences ainsi que de possibles sanctions seront discutées à cette occasion", a déclaré un porte-parole de l'institution.

Réunis à Bruxelles, "les dirigeants européens discuteront (lundi) de cet incident sans précédent. Il ne restera pas sans conséquences", a indiqué M. Michel, sans autres précisions, dans un communiqué.

"J'appelle les autorités du Bélarus à relâcher immédiatement le passager détenu et à garantir l'entièreté de ses droits", avait indiqué Charles Michel, en référence à Roman Protassevitch.

"Il faudra assumer toutes les conséquences de violations des règles internationales du transport aérien", a de son côté prévenu la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Les sanctions imposées au président Alexandre Loukachenko avaient été prolongées

"Cela montre jusqu'où peut aller une dictature pour réduire au silence une voix critique: détourner un avion pour arrêter un journaliste et activiste (...) Les démocraties doivent faire front commun, défendre leurs valeurs et agir", a abondé la vice-présidente de la Commission chargée des valeurs et de la transparence, Vera Jourova.

L'UE se préparait d'ores et déjà, avant cet incident, à renforcer les sanctions déjà prises contre le régime bélarusse.

Les Vingt-Sept avaient décidé fin février de prolonger jusqu'en février 2022 les sanctions imposées au président Alexandre Loukachenko ainsi qu'à des responsables du régime, après l'élection présidentielle d'août 2020 jugée "truquée" et la violente répression de la contestation qui avait suivi.

Le chef de la diplomatie de l'UE, Josep Borrell, avait annoncé le 10 mai que l'UE préparait de nouvelles sanctions contre Minsk et disait espérer leur adoption "dans les prochaines semaines" - des sanctions pour lesquelles l'unanimité des Etats membres est requise.

Malgré les sanctions européennes et américaines visant Alexandre Loukachenko et de hauts responsables de son gouvernement, le président bélarusse, soutenu par Moscou, n'a donné aucun signe sérieux de compromis face au mouvement de contestation, renforçant au contraire la répression.

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