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"Sans mamans voilées, pas de sorties scolaires": le terrain loin du débat politique

Dans certains quartiers, "sans les mamans voilées, il n'y aurait pas de sorties scolaires". Pour ces femmes, ainsi que pour des parents d'élèves et enseignants, le débat politique sur le sujet est "stérile" et "hypocrite".

"Je trouve ce débat pitoyable, pathétique", s'agace la mère d'une petite fille de huit ans, qui porte un hidjab, interrogée devant une école parisienne. "J'ai fait plein de sorties avec ma fille depuis la maternelle, et le fait de porter le voile n'a jamais posé de problème", assure-t-elle.

Depuis plusieurs jours, l'exécutif se divise sur le cas des mères voilées à l'occasion de sorties scolaires, entre ceux pour qui porter le foulard à cette occasion n'est "pas souhaitable" et ceux plaidant pour "l'inclusion" de ces femmes.

En 2013, le Conseil d'Etat a estimé que les mères voilées accompagnant les sorties scolaires ne sont pas soumises aux "exigences de neutralité religieuse".

Le sujet, qui revient sporadiquement dans le débat, a été relancé lorsqu'un élu du Rassemblement national (RN) a pris à partie une mère voilée lors d'une séance du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté vendredi.

Depuis, le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer a notamment rappelé que "la loi n'interdit pas aux femmes voilées d'accompagner les enfants". Et il a ajouté : "le voile en soi n'est pas souhaitable dans notre société".

Sur le terrain, la question ne se pose tout simplement pas : "c'est une réalité", constate Carla Dugault, coprésidente de la FCPE (fédération de parents d'élèves), expliquant que dans certains quartiers, les sorties scolaires seraient juste impossibles sans l'implication de ces femmes.

"C'est absurde, la loi nous oblige à avoir un certain nombre d'accompagnateurs, c'est un service qu'on demande aux parents", explique Alain, professeur des écoles à Paris, dans le XXe arrondissement. "L'école fonctionne aussi grâce à leur bonne volonté".

- "Stigmatisation" -

"Pas plus tard qu'hier, il me manquait des parents pour une sortie", raconte aussi Laetitia, professeure des écoles dans le nord de Paris. Si une mère voilée, "très impliquée dans la vie de l'école", ne s'était pas portée volontaire, elle aurait été annulée, poursuit-elle.

Pour elle, ce débat, "stérile", risque surtout de les décourager : "cette maman a été un peu choquée par ce qu'elle a entendu, elle l'a vécu comme une stigmatisation", confie-t-elle.

A Argenteuil (Val-d'Oise), Yasmine, qui porte un foulard, participait mardi à un atelier dans la classe de sa fille, organisée pour la "semaine du goût". "Ce que la maîtresse cherchait ce matin, c'était des bras pour presser des jus de fruits, pas vérifier ce qui était sur notre tête", ironise-t-elle.

Elle juge la polémique actuelle "un peu hypocrite": "on entend que ça dérange mais pas quand on a besoin de nous..."

Parents, profs, enseignants s'accordent à reconnaître que l'école a avant tout besoin de "sérénité", comme le rappelle Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp-FSU (le premier syndicat du primaire). "Si l'enfant voit qu'il y a un lien de confiance entre l'école et la maison, ça joue sur la réussite des apprentissages", assure-t-elle.

Or relancer un débat qui s'était justement "apaisé" ne va pas dans le bon sens, à en croire les acteurs de terrain.

"On parle du climat scolaire, mais quel climat crée-t-on avec ces polémiques ?", s'indigne une directrice d'école en Seine-Saint-Denis, dans un quartier très défavorisé où "80% des femmes sont voilées".

"On crée un problème là où il n'y en a pas", regrette pour sa part Sabine, également directrice d'école dans le département, à Pantin. "Et on demande aux enseignants de discriminer des familles, c'est extrêmement dangereux au moment où on parle d'+école de la confiance+", s'inquiète-t-elle.

Quant au prosélytisme, agité comme un chiffon rouge dans la classe politique, il ne viendra pas de ces mères voilées, estime-t-elle.

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