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"Vous avez le temps pour ce dossier?" A Bobigny, le quotidien d'un tribunal pour enfants

"Ce qui fait le lit de la délinquance, c'est l'enfance mal protégée": Claire Paucher, juge des enfants à Bobigny, a laissé l'AFP assister à la permanence pénale où se décide le destin d'une dizaine de jeunes de Seine-Saint-Denis chaque jour.

Plus grand tribunal pour enfants de France, Bobigny est concerné au premier chef par la réforme controversée de la justice des mineurs que le gouvernement s'apprête à lancer. En 2018, près de 7.000 mineurs y étaient suivis au titre de l'assistance éducative et près de 2.000 ont été déférés pour des actes de délinquance.

Ils défilent, week-end compris, à la permanence pénale à l'issue de leur garde à vue pour une mise en examen, un placement sous contrôle judiciaire, en centre éducatif fermé... Ils seront reconvoqués ultérieurement par un magistrat qui décidera de leur peine.

- Tony, 16 ans, affaire de stupéfiants -

"Il faut l'éloigner du 93" et des mauvaises fréquentations, dit la mère de Tony, en tenant dans ses bras sa demi-soeur, un petit pull licorne sur le dos. "Tu sais que c'est pour toi que je le fais", ajoute-t-elle en se tournant vers son fils, poursuivi pour avoir tenté de vendre des stupéfiants. "Je serai derrière toi". "Qu'est-ce-que vous en pensez Tony ?", demande la juge. Il hausse les épaules. "Il y a peut-être aussi des choses qui ne vont pas à la maison", tente la magistrate. La mère explose: "Vous dites que j'ai foiré ?" Tony est en larmes. "Ma mère n'a rien à voir avec ça". Il est mis en examen et sera suivi par un éducateur.

- Mohamed, mineur migrant -

La greffière passe une tête: "Vous avez le temps pour ce dossier? C'est un mineur non accompagné". Entre un jeune homme, blouson trop grand, air perdu. Il vient de Guinée, raconte avec une traductrice être passé par le Mali, le Niger, la Libye puis l'Italie où il a pris le train jusqu'à Nice. Ces derniers mois, ils sont près d'une dizaine à se présenter chaque jour au tribunal pour demander, comme lui, à être suivis par l'aide sociale à l'enfance (ASE). Les juges les reçoivent, avec pour mission d'évaluer s'ils sont mineurs ou non.

- Aïssata et ses trois enfants -

Son déjeuner à peine avalé, Claire Paucher se penche sur une famille de son secteur (Clichy-sous-Bois et Montfermeil). Aïssata et ses trois enfants mineurs sont accompagnés d'un éducateur et d'une grande soeur qui fait la traduction. Seule depuis le décès de son mari, Aïsatta n'arrivait pas à faire face, les enfants ont été placés. La juge les suit depuis quatre ans et les reçoit régulièrement. "Comment ça se passe à l'école ? Et au foyer?" Les petits répondent timidement. Comme les autres juges de Bobigny, la magistrate suit des centaines de familles. "Je suis contente, eux ils évoluent très bien".

- Mehdi, 16 ans, trafic de stupéfiants -

Parka et jogging noir, il a été interpellé en train de vendre de l'héroïne. "Vous reconnaissez les faits ?", demande la juge. Pas d'explications alambiquées comme d'autres, pas de contestation: "Oui, c'était un flagrant délit". "J'avais besoin d'argent. Samedi, j'étais venu guetter. Dimanche, y avait pas de vendeur, on m'a dit +vends pendant 15 minutes, le temps qu'il arrive+". La mère de Mehdi était malade, il a un temps été placé en foyer. "C'est un jeune qui a un parcours difficile, mais il a des projets", appuie l'avocate. Il veut être animateur, "travailler avec les enfants". La juge le regarde: "Vous savez ce que c'est l'héroïne ?" "C'est la mort", lâche-t-il d'un air grave. Il est mis en examen.

- Reda, 16 ans, et Adama, 15 ans, recel de vol -

"C'est un malentendu, je ne savais pas que c'était une voiture volée. Sinon je me serais pas posé dedans", dit Adama, plusieurs fois condamné, pour vols aggravés notamment. Ce week-end, lorsqu'il a été interpellé avec son copain Reda au volant de la voiture volée, il sortait à peine de garde à vue. "Ces derniers temps il y a un cumul, ça nous inquiète un peu", dit son éducateur. "Les mesures éducatives ne suffisent pas à mettre un coup d'arrêt à ses actes de délinquance", regrette aussi le procureur. La juge décide de le placer en centre éducatif fermé, Reda, lui, est mis en examen.

(Tous les prénoms ont été modifiés)

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