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Au lycée, un atelier pour ne plus prendre le Coran au pied de la lettre

Qu'est-ce qu'un bon musulman? Pour avoir remis en cause la lecture littérale du Coran, Selman Reda, un Marseillais d'origine marocaine, a été chassé à 16 ans par son père. Il tourne désormais dans les collèges et les lycées pour lutter contre la radicalisation.

"Ne laisse personne te voler les mots", la pièce qu'il a créée à Marseille avec le metteur en scène Michel André, a une ambition: aider les élèves, souvent tiraillés par les questions religieuses, à "replacer le Coran dans son contexte" historique et scientifique, au-delà de leurs croyances personnelles.

"La religion musulmane est méconnue, beaucoup de gens disent des bêtises sur l'islam", témoigne ce comédien de 40 ans dans une salle sans apprêt du lycée professionnel Colbert, au coeur de la cité phocéenne.

La soixantaine d'élèves qui l'écoutent, en première gestion administrative ou vente et accueil, n'ont jamais, ou presque, entendu l'école leur parler aussi frontalement du Coran et de ses interprétations. Le sujet les tiraille pourtant.

Le texte religieux autorise-t-il à battre les femmes? A tuer les "mécréants"? A écouter de la musique? Selman Reda raconte la vie et les usages des tribus bédouines d'Arabie, contemporaines de sa rédaction au VIIe siècle, détaille les subtilités de traduction...

"Si les musulmans réalisaient que l'islam qu'ils professent et pratiquent aujourd'hui n'est pas +l'islam de toujours+, mais un islam qui s'est construit progressivement au cours des siècles, nous ferions déjà un grand pas", estime dans les notes de production l'islamologue Rachid Benzine, sur le travail scientifique duquel s'appuie la pièce, produite par le théâtre marseillais La Cité.

"Entre ce texte-là et toi, il y a 15 siècles d'histoire", explique Selman Reda aux élèves en doudoune et survêtement, issus pour beaucoup de quartiers très défavorisés de Marseille. A l'appui de la démonstration, l'histoire personnelle du comédien: arrivé en France à 4 ans, il a "vu la religion musulmane changer à l'intérieur de (sa) famille", installée dans la campagne provençale, où le père est ouvrier viticole.

- Le chemin du Paradis -

Petit à petit, il interdit à son fils d'avoir des copains non-musulmans, d'écouter de la musique, de regarder la télé. "+N'écoute pas les professeurs, ils ne connaissent pas le chemin du Paradis+, me disait mon père", témoigne Selman Reda. "Beaucoup de gens essaient de réapprendre la religion aux musulmans. Mon père avait rencontré des gens comme ça sur sa route".

Le message semble passer: "En tant que jeunes, on est musulmans mais on ne comprend pas vraiment la religion. Ce n'est pas quelque chose qu'on doit nous imposer", relève Sophia, l'une des élèves, après la représentation. Certains, pourtant, se braquent: un élève a un jour reproché au comédien de ne pas parler du "vrai" texte religieux mais du "Coran de chez Lidl", témoigne l'équipe.

Dans des classes où presque tous les élèves sont musulmans, cette intervention peut aider à prévenir "les conflits fréquents entre les croyances et les apprentissages", relève Marie-Laurence Tinet, enseignante-documentaliste et cheville ouvrière de ce projet au lycée Colbert.

Parmi ces conflits, l'interdiction pour des raisons d'hygiène de porter des jupes longues dans les filières qui impliquent des stages en crèche ou à l'hôpital. Ou l'enseignement des sciences, abonde Régis Bottero, enseignant de lettres et d'histoire, qui se souvient d'un élève soutenant mordicus qu'un éclair était forcément une manifestation divine.

"C'est bien qu'ils entendent à l'école une autre parole sur la religion", abonde Patrick Tchalian, professeur de gestion. "On a des élèves pas forcément à fond sur la religion - même s'ils disent +la Mecque du Coran+ toutes les 5 minutes - mais qui ont tendance à répéter les paroles qu'ils entendent".

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