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Durcir le mouvement? A Fresnes, le dilemme des gardiens de prison

"Le dépôt de clés, soit tout le monde le fait, soit personne!" À Fresnes (Val-de-Marne), la question est sur toutes les lèvres: les surveillants pénitentiaires vont-ils oser paralyser totalement l'une des plus grandes prisons de France?

Lundi, 20H00. Dans la salle de conférence qui jouxte le mur d'enceinte, environ 120 agents sont réunis en "assemblée générale". Ordre du jour: s'affranchir ou non de leur statut pour exercer un droit de grève qu'ils n'ont pas.

Voilà plus d'une semaine déjà que les gardiens de prison grognent aux quatre coins du pays. Agressions violentes, peur des détenus radicalisés, conditions de travail déplorables: l'administration pénitentiaire n'avait plus connu une crise d'une telle ampleur depuis vingt-cinq ans.

"Un Smic pour risquer sa vie, c'est pas assez, surtout avec les nouveaux risques posés par les détenus radicalisés", peste Sébastien, surveillant depuis huit ans. Autour de lui, d'autres collègues veulent être "considérés et payés comme des policiers". Comprendre: changer de catégorie et démarrer leur carrière à 1.800 euros net par mois, au lieu de 1.400.

Face aux négociations qui patinent, les principaux syndicats (Ufap, FO et CGT) représentant les 28.000 surveillants français appellent à "durcir" le mouvement, notamment en dégainant l'ultime mesure: le "dépôt de clés". Dans ce cas, plus de parloirs, promenades, sport ou ateliers de travail pour les détenus. Les forces de l'ordre prennent le relais et distribuent simplement les repas.

Certaines prisons (Lille, Maubeuge, Metz ou encore Bayonne) se sont engagées dans cette voie et la tentation pointe à Fresnes, une des prisons les plus vétustes de France, qui abrite 2.800 détenus pour 1.400 places. Le slogan, "les CRS à la gamelle" commence à faire florès lors des blocages matinaux.

"Si Fresnes et Fleury-Mérogis (les deux plus grandes prisons françaises) déposent les clés, toutes les taules suivent", lance un surveillant à la cantonade.

- Révocations? -

Brouhaha dans la salle. Sous les drapeaux français et européen, les fonctionnaires semblent d'accord: "Il ne faut pas lâcher." Les mesures de sécurité et les 1.100 créations de postes sur quatre ans proposées par le gouvernement, "c'est rien du tout".

Mais de là à s'exposer à des sanctions, voire à une révocation? La question divise.

"Pensez aux stagiaires, pensez aux gamins", avertit une gradée, vingt-deux ans de métier. En cas d'arrêt de travail, ces nouveaux venus, qui composent 70 à 80% des effectifs à Fresnes, ont toutes les chances de ne pas être titularisés.

Un jeune gaillard se lève. Un ami de sa promotion "a failli se faire péter la mâchoire" récemment. Alors le dépôt de clés, il l'envisage. Mais il doit "être titularisé dans un mois... Que risque-t-on vraiment?"

"Évidemment, ils vont vous suspendre et menacer de vous révoquer", répond Frédéric Godet, secrétaire local Ufap-Unsa. "Mais il faut savoir ce que vous voulez: stagiaire ou pas, vous attendez que quelqu'un se fasse crever sur la coursive?"

L'air grave, plusieurs anciens interviennent. Eux racontent les dépôts de clés de 1992, après une évasion qui avait coûté la vie à un surveillant de Clairvaux (Aube).

"Aujourd'hui, ça n'a plus rien à voir", prévient l'un d'eux. "On a 500 terroristes et 1.500 radicalisés dans nos prisons. Dans quelques années, ce sera 10 fois plus et c'est vous qui allez devoir vivre avec."

Murmures d'approbation. Mais comment garantir le succès de l'opération? L'assemblée ne compte que 120 personnes, tandis que 1.100 fonctionnaires travaillent à Fresnes, dont 650 gardiens.

"Pourquoi ne pas souder les portes, tout simplement?", sourit un colosse sous sa capuche, pour détendre l'atmosphère. Finalement, une alternative se dessine: l'arrêt-maladie pour tous.

Après presque deux heures de débat, la salle vote. La moitié en faveur des arrêts-maladies, l'autre pour le dépôt de clés.

"C'était l'unanimité ou rien", tranche Erika Esther, déléguée FO Pénitentiaire. "Si vous n'êtes que 50 à déposer les clés, on n'arrivera pas à vous protéger", soupire la syndicaliste. Depuis mardi 06H00, Fresnes est perturbée, mais pas à l'arrêt.

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