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Le Premier ministre français reçoit des gilets jaunes, mais l'un d'eux ressort immédiatement: Edouard Philippe encore fragilisé

Jugé trop ferme ou maladroit dans sa gestion d'un dossier qui s'enlise, Edouard Philippe voit sa position fragilisée par la crise des "gilets jaunes", qui a de nouveau révélé des divergences entre l'Elysée et Matignon.


Une rencontre chaotique avec des gilets jaunes

La rencontre prévue entre l'exécutif et les "gilets jaunes" vendredi, veille de l'acte III de leur mobilisation, a tourné au fiasco, le Premier ministre Edouard Philippe assurant toutefois que "la porte de Matignon (serait) toujours ouverte" aux représentants de ce mouvement.

"J'ai demandé à plusieurs reprises à ce que cet entretien soit filmé et retransmis en direct à la télévision, cela a été refusé", a déclaré à la presse Jason Herbert, l'un des huit membres de la délégation qui avait émergé en début de semaine, avant de repartir après quelques minutes d'un dialogue de sourds.

Ni M. Herbert, ni Matignon n'ont révélé l'identité du "gilet jaune" resté ensuite plus d'une heure avec Edouard Philippe et le ministre de la Transition écologique François de Rugy. "Cet échange a eu lieu, avec moins de représentants que j'espérais, mais il a eu lieu et je pense que c'était important qu'il ait lieu", a déclaré le Premier ministre après la discussion. "Il aurait été incompréhensible", a-t-il ajouté, qu'il n'y ait "pas ce moment d'échanges avec les représentants des gilets jaunes" après avoir reçu "tous les représentants des associations, des syndicats, des élus locaux, des corps intermédiaires" dans le cadre de trois mois de concertation voulus par le président Emmanuel Macron.

Jason Herbert, chargé de communication dans une médiathèque d'Angoulême, est l'une des figures du mouvement en Charente. Il était arrivé à Matignon vers 14H30, une demi-heure après l'horaire prévu. "Aujourd'hui nous ne sommes que deux, nous avons tous reçu d'énormes pressions" émanant "à 99%" d'autres "gilets jaunes", a-t-il affirmé, avant de réitérer que la délégation avait été dissoute il y a 48 heures, après avoir rempli sa mission consistant à lancer le dialogue avec le gouvernement.


Pas sur la même longueur d'onde avec Macron

Un camouflet qui s'ajoute à deux semaines difficiles pour le Premier ministre, qui tente depuis le début de convaincre du bon "cap" fixé sur la hausse de la taxe carbone, au nom de la cohérence de la politique écologique et budgétaire du gouvernement. Mais peine à incarner "l'écoute" qu'il affiche par ailleurs.

"Nul ne peut présider ou gouverner s'il n'entend pas", a lancé lundi Emmanuel Macron dans le huis clos du Conseil des ministres. Ce que beaucoup des membres de gouvernement autour de la table ont entendu comme un message à son Premier ministre. Tout comme les critiques mardi du président sur le chèque énergie, jugé trop complexe, que venait pourtant de renforcer son chef de gouvernement quelques jours plus tôt.

Face aux prémices du mouvement, à une semaine de la première mobilisation du 17 novembre, c'est encore Emmanuel Macron qui avait commandé à Edouard Philippe des mesures d'accompagnement à la transition écologique.

A l'Elysée, comme au bureau exécutif de la République en Marche (LREM), on a ensuite jugé trop ferme la fin de non-recevoir affichée par le Premier ministre à la proposition du leader de la CFDT Laurent Berger d'une conférence sociale sur la transition écologique. Puis, quand le patron du MoDem François Bayrou a remis sur la table l'idée d'une taxe flottante sur les carburants, Matignon avait d'abord écarté l'hypothèse.

Au final, Emmanuel Macron a annoncé mardi une grande concertation décentralisée et une neutralisation de la hausse des taxes quand le pétrole est cher. Soit deux mesures assez proches des propositions de MM. Berger et Bayrou, et une forme de désaveu de son numéro 2. "À un moment, on ne peut pas gouverner contre le peuple", a encore lâché vendredi M. Bayrou, allié fidèle d'Emmanuel Macron, mais faible soutien du Premier ministre.


Revirement de situation pour le Premier ministre

Le contraste est net avec la situation d'il y a un mois. Après un été et une rentrée catastrophique pour l'exécutif, Edouard Philippe apparaissait alors comme un roc solide pour le président de la République, balayé par les trois tempêtes successives Benalla, Hulot puis Collomb.

Selon trois sondages publiés cette semaine, l'ancien maire du Havre a depuis perdu six points de popularité en un mois, selon Ipsos, six également selon Harris Interactive, et sept selon Ifop, avec seulement un tiers de satisfaits.

Surtout, l'étiquette de "juppéiste" (comprendre: raideur arrogante et "droit dans ses bottes" face aux mouvements sociaux) est revenue coller aux basques d'Edouard Philippe, là où l'ex-lieutenant d'Alain Juppé avait cultivé depuis ses débuts à Matignon un style décontracté et modeste. L'annonce d'une hausse sans coup de pouce du Smic en pleine fronde sur le pouvoir d'achat a été perçue comme maladroite. "Edouard Philippe a été rocardien dans le passé. Il faut qu'il le redevienne", a ainsi appelé vendredi le député LREM Jacques Maire.

Ils n'ont pas la même culture

L'entente entre l'Elysée et Matignon, à l'image du remaniement poussif d'octobre qui a réveillé de vieilles fractures gauche-droite, n'est pas non plus au beau fixe.

Un des plus proches conseillers d'Edouard Philippe, Gilles Boyer, est notamment dans le viseur de plusieurs cadres de la Macronie, d'autant plus depuis qu'il est candidat à une place sur la liste de la majorité aux européennes. "C'est un oiseau de mauvais augure, un malfaisant", assène un pilier de la majorité.

De l'autre côté de la Seine, un familier de Matignon s'inquiète : "Tous les gens de l'Elysée ont grandi à gauche, tous les gens à Matignon ont grandi à droite. Dans ce cas, le 'en même temps' ne marche pas. Ils ont dû mal à se parler entre eux, car ils n'ont pas la même culture. Ils ne parlent pas la même langue".

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