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Retraites: d'un arrangement à l'autre, un système de moins en moins universel

Danseurs, pilotes, policiers... A mesure que le gouvernement accumule les concessions catégorielles, le "système universel" de retraite promis par Emmanuel Macron se plie aux réalités du monde du travail, tout comme les pères fondateurs de la Sécu avaient dû restreindre la portée du régime "général" créé après-guerre.

La réforme voulue par le chef de l'Etat est encore loin d'être sur orbite, mais il est déjà clair qu'on ne peut pas être seul dans l'universel.

En l'espace d'un mois, l'exécutif a multiplié les petits arrangements pour éteindre les foyers de contestation: maintien de l'âge légal "dérogatoire" à 52 ans pour les policiers, de la caisse complémentaire des pilotes de ligne, hôtesses et stewards, "clause du grand-père" pour les danseurs de l'Opéra de Paris.

D'autres tractations sont en cours pour garantir les départs anticipés avant 62 ans des marins, des chauffeurs routiers ou encore des cheminots.

Le Premier ministre, Edouard Philippe, a beau répéter qu'un système universel "n'est pas un système uniforme" et "ne signifie pas la négation de toute spécificité", ces accords au cas par cas semblent contredire sa vision d'un nouveau régime "pour tout le monde sans exception".

M. Macron lui-même l'avait prédit en octobre, répondant lors d'un débat à une question sur les policiers: "Si je commence à dire, on garde un régime spécial pour l'un, ça va tomber comme des dominos".

"Il était inévitable qu'il y ait des négociations secteur par secteur" pour tenir compte "des rapports de force sur le marché du travail", estime Vincent Touzé, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Même en forçant l'alignement des planètes pour instaurer "un régime universel de base", le gouvernement "ne peut pas empêcher les salariés et les employeurs de négocier le contrat de travail" et d'ajouter "un second pilier", par exemple "pour permettre des départs anticipés".

- Déjà, en 1945... -

Ce n'est pourtant pas la première fois que le "big bang" annoncé se heurte aux corporatismes. Dès 1945, les créateurs de la Sécu eux-mêmes ont dû en rabattre sur les contours du régime général.

A l'époque, déjà, "on envisage une réforme universelle, c'est d'ailleurs libellé dans ces termes dans le programme du Conseil national de la Résistance", souligne l'historien Michel Pigenet, professeur émérite à l'université Paris-1 et spécialiste des sujets sociaux.

"Mais les indépendants et les agriculteurs ne voulaient pas être dans le régime général", car ils avaient "peur de servir de vache à lait pour les salariés", tandis que les cheminots ou les électriciens, qui bénéficiaient "de régimes antérieurs, en fait pionniers, plus avantageux, ne voulaient pas les perdre", ajoute-t-il.

"Il faut se remettre dans le contexte: on est en pleine reconstruction, la France est à genoux" et "certaines populations ont été particulièrement sollicitées" pour redresser le pays, rappelle Christophe Capuano, enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l'université Lyon-2.

Dans les mines et les transports, des négociations sur la productivité ont "provoqué des tensions sociales" qui deviennnent "extrêmement fortes" fin 1947 pour que ces professions soient mieux rémunérées", le tout "en pleine période de guerre froide" avec les Soviétiques.

Les temps n'étaient donc "pas favorables à dire +on supprime vos régimes spéciaux+, ce qui explique aussi l'échec" d'un grand dessein "qui aurait englobé l'ensemble de la population française".

Depuis 75 ans, les caisses constituées par chaque profession ont eu "chacune leur histoire à leur rythme", avec "leurs propres logiques d'évolution", observe-t-il.

Ce qui explique aujourd'hui les difficultés du gouvernement à faire décoller son projet.

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