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Viols d'enfants en Centrafrique: non-lieu en faveur de soldats français

Trois ans après des accusations de viols d'enfants en Centrafrique visant des militaires français, la justice française a écarté la perspective d'un procès au terme d'une enquête délicate qui laisse des questions en suspens et des parties civiles déçues.

Conformément aux réquisitions du parquet de Paris, les juges ont rendu jeudi un non-lieu dans ce dossier clos sans aucune inculpation, a-t-on appris lundi de source judiciaire. Révélées en 2015, les accusations avaient terni la réputation de l'armée française déployée dans le pays sous égide de l'ONU pour restaurer la sécurité après des mois de violences interconfessionnelles.

Dans ses réquisitions, le parquet soulignait qu'au terme de l'enquête, "il ne peut être affirmé (...) qu'aucun abus sexuel n'a été commis". Mais il estimait que les incohérences et "la variation des témoignages ne permettent pas d'établir des faits circonstanciés et étayés à l'encontre des militaires", selon une source proche du dossier.

L'affaire avait éclaté en avril 2015. Le quotidien britannique The Guardian avait alors fait état d'une note interne de l'ONU relatant les auditions de six garçons de 9 à 13 ans qui accusaient des militaires de les avoir violentés dans le camp de déplacés de l'aéroport M'Poko de Bangui. Des viols commis en échange d'argent et de rations de nourriture, entre décembre 2013 et juin 2014, selon leur récit.

Saisi par le ministère de la Défense, le parquet de Paris avait en réalité déjà ouvert, dès juillet 2014, une enquête préliminaire qui avait ensuite été confiée à des juges d'instruction mais qui était restée secrète. Ce silence avait été reproché aux autorités françaises ainsi qu'à l'ONU.

Depuis, d'autres scandales touchant des contingents d'autres pays ont éclaté et les Nations unies ont souvent été critiquées pour leur manque de réactivité. En France, deux autres enquêtes visant des militaires de l'opération Sangaris ont ensuite été ouvertes. L'une d'elles, sur le cas d'une jeune fille se disant victime d'un viol à l'été 2014 avant d'évoquer un rapport consenti non protégé, a été classée fin 2016.

- Possible appel des parties civiles -

La force Sangaris et ses 2.000 hommes ont été déployés entre 2013 et 2016 en Centrafrique, pays miné par les violences entre rebelles musulmans, les Séléka, et miliciens chrétiens, les anti-balaka, après le renversement de l'ex-président François Bozizé.

Dans leurs premiers témoignages, les enfants avaient donné des détails comme des surnoms ou des caractéristiques physiques des militaires - comme un tatouage - permettant de cibler une dizaine de possibles agresseurs, qui ont été auditionnés, dont un sous le régime de la garde à vue.

Les juges français ont entendu de nouveau les enfants sur place à Bangui en 2015 et 2016. Mais ces auditions, menées longtemps après les faits, ont suscité des doutes. Devant des photos, un enfant a dit reconnaître son agresseur alors qu'il ne s'agissait pas d'un militaire. Un autre a reconnu avoir menti. Un autre encore disait avoir lu le nom d'un soldat sur son uniforme alors que des vérifications ont établi qu'il ne savait pas déchiffrer le mot "maman", d'après le réquisitoire.

L'association partie civile Ecpat, qui lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants, avait demandé une expertise pour s'assurer que la parole des mineurs avait bien été prise en compte mais les juges n'y ont pas fait droit.

L'avocat de l'ONG Emmanuel Daoud a annoncé qu'il ferait probablement appel de l'ordonnance "pour ne pas donner le sentiment (...) que l'affaire est terminée et que nous renoncerions à (...) établir les responsabilités et les culpabilités".

Devant les enquêteurs, la fonctionnaire onusienne qui a recueilli les premiers témoignages des enfants s'est dite convaincue de leur sincérité.

Certains militaires ont affirmé avoir donné des rations alimentaires, dans un contexte de grande pauvreté, mais ils ont nié tout abus sexuel et les écoutes n'ont rien donné. Sur le téléphone de l'un d'eux, des dizaines de vidéos pornographiques ont été retrouvées, dont huit à caractère pédopornographique, chiffre trop faible pour caractériser un profil pédophile, selon une source proche de l'enquête.

"Nous avons assisté depuis le début de l'enquête à la chronique d'un non-lieu annoncé", a réagi Rodolphe Constantino, avocat d'une autre association partie civile, Enfance et Partage.

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