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A Bagdad, la peur des violences est revenue et les espoirs se sont envolés

Avec la libération de l'Irak des jihadistes et la disparition progressive des murs de béton quadrillant Bagdad, Oum Zina, rassurée, avait convaincu son fils de ne pas partir aux Etats-Unis. Mais après le début d'une contestation inédite, elle a revu ses plans.

"On se sentait bien, la vie changeait, ça allait de mieux en mieux, on avait oublié la peur et les attentats", raconte-t-elle à l'AFP. L'Irak n'est sorti que fin 2017 de près de quatre décennies de guerres et d'embargo quasi-ininterrompus.

Mais sa tranquillité d'esprit --retrouvée après la défaite en 2017 du groupe Etat islamique (EI) qui avait fait une percée fulgurante dans le pays trois ans auparavant--, Oum Zina dit l'avoir perdue le 1er octobre.

Ce jour-là a débuté un mouvement de contestation antigouvernemental inédit en Irak et aujourd'hui, cette mère de famille se dit qu'elle aurait peut-être mieux fait de laisser partir son fils, qui voulait rejoindre sa soeur aux Etats-Unis.

Des milliers de jeunes sont sortis dans les rues pour dénoncer la corruption et réclamer emplois et services publics fonctionnels dans un pays riche en pétrole mais où un habitant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.

Face à eux, les balles ont plu et en cinq jours 157 personnes sont mortes, selon un bilan officiel.

De nouveaux appels à défiler vendredi ont été lancés mais dès jeudi soir, des manifestants se sont rassemblés à Nassiriya et à Bagdad, où les forces de sécurité ont fait usage de canons à eau pour les disperser dans la nuit.

- "On se sent perdus" -

Depuis le début des manifestations, raconte Oum Zina, "la peur est revenue". La peur des violences mais aussi des répercussions des crises régionales dans un pays où "la menace plane avec l'Iran et les Etats-Unis". Les tensions n'ont cessé de croître ces derniers mois entre ces deux puissances agissantes en Irak et les secousses se font régulièrement sentir à Bagdad.

Amjad, lui, avait ouvert une petite échoppe d'électronique dans le centre de Bagdad et entendait capitaliser sur de bons débuts. "Mais ce mois-ci, avec les manifestations, on est loin des chiffres des mois précédents", lâche-t-il à l'AFP.

Alors que ses profits faiblissaient, il a un temps espéré que "les manifestations amènent du changement dans un pays où tous les gouvernants sont des voleurs". Mais après avoir vu les violences, à 21 ans à peine, il en est convaincu : "l'avenir sera pire en Irak".

Youssef Ibrahim, 27 ans, a lui aussi été emporté par l'espoir quand, fin 2017, Bagdad a déclaré sa victoire sur les jihadistes. Il a lancé sa boutique de téléphonie et s'est marié "pour avoir une vie comme tout le monde".

Mais aujourd'hui, "avec les événements actuels, on se sent perdus, je ne sais plus si la boutique et le mariage étaient de bonnes idées", affirme-t-il à l'AFP.

Avec l'incertitude qui plane, "les gens veulent plus trouver de quoi manger que de quoi équiper leur maison", se lamente en écho Hussein, 54 ans, qui vend de l'électroménager dans le centre de la capitale.

- Pauvreté, chômage, désespoir -

Pour beaucoup en Irak, la fin de l'EI devait lancer les débuts d'un nouvel âge d'or.

Il y a cinq mois encore, le ministère du Commerce publiait des communiqués triomphalistes. Il affirmait que "les plus grandes entreprises allemandes et françaises se pressent aux portes du marché irakien", synonyme d'énormes contrats de reconstruction et de lancement de grandes infrastructures dans un pays aux services publics déliquescents.

Mais ces projets pharaoniques n'ont toujours pas vu le jour. Et les Irakiens répètent ne plus être dupes de ces contrats fictifs signés entre entrepreneurs et politiciens véreux qui ont empoché en 16 ans 410 milliards d'euros, envolés dans la corruption endémique dans le pays, selon les chiffres officiels.

Pendant ce temps, la pauvreté, elle, a prospéré, avec un jeune sur quatre au chômage, un taux d'emploi des femmes parmi les plus bas au monde et des milliers de foyers ayant perdu leur soutien de famille dans les guerres et les attentats.

"Les gens sont désespérés : ils sont étranglés par la pauvreté, le chômage, l'absence de projet", s'emporte Ahmed, employé dans un magasin d'ameublement alors qu'il est titulaire d'un diplôme d'ingénieur.

"Et tous ce que les politiciens proposent, ce sont des promesses en l'air."

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