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Brésil: les milices paramilitaires gangrènent Rio de Janeiro

On ne parle pas souvent d'elles au Brésil car elles agissent dans l'ombre et en silence, mais l'assassinat de l'élue noire Marielle Franco a braqué les projecteurs sur les milices paramilitaires qui gangrènent une grande partie de Rio de Janeiro.

La conseillère municipale de la "Ville merveilleuse" Marielle Franco, pasionaria de la lutte pour les droits des minorités et critique infatigable des violences policières, avait participé en 2008 à une commission parlementaire qui avait osé s'attaquer au pouvoir des milices.

Elle a été criblée de balles dans sa voiture en mars par des "professionnels". Même si ceux-ci courent toujours, les milices ont été pointées du doigt par le gouvernement.

Le mentor politique de Marielle Franco, le député de gauche Marcelo Freixo, avait présidé la commission parlementaire et vit depuis dix ans sous protection policière en raison de menaces de mort.

Mais d'où viennent les milices et sur quel terreau ont-elles prospéré?

Il y a une vingtaine d'années, l'idée avait paru séduisante: l'installation de groupes armés dans les quartiers défavorisés de Rio de Janeiro qui apporteraient une protection aux populations terrorisées par la violence des gangs de trafiquants de drogue.

Les milices ont donc commencé à s'implanter, théoriquement, pour mater l'ennemi public numéro et avec l'aval implicite des autorités les considérant comme des "groupes d'autodéfense communautaires".

Sans faire de bruit, elles ont étendu leur pouvoir jusqu'à imposer aujourd'hui leur régime de terreur sur une grande partie de la ville de plus de six millions d'habitants, avec un bastion dans l'ouest.

Leur progression a été favorisée par l'abandon par l'Etat de nombreux quartiers en déshérence et par la corruption de ses forces de police sous-payées et violentes.

Les milices ont accru leur emprise avec des extorsions de fonds et jusqu'à la lutte armée, parfois même aux côtés des trafiquants de drogue ou d'armes.

- Héritières des "escadrons de la mort" -

Aujourd'hui, avec leurs hommes infiltrés dans les conseils municipaux et jusqu'au sein du Parlement de l'Etat de Rio de Janeiro, les milices sont si puissantes et redoutées que les médias du pays en parlent à peine.

Elles sont considérées comme des héritières des "escadrons de la mort" qui pendant la dictature militaire (1964-85) étaient payées par des commerçants ou des caciques politiques pour "nettoyer" la ville d'adversaires dérangeants, explique à l'AFP José Cláudio Souza Alves, expert de l'Université fédérale rurale de Rio.

Les milices se sont formées avec des membres ou d'ex-membres de la sécurité de l'Etat, policiers, policiers militaires, pompiers, agents pénitentaires et même militaires, tenant un "discours moral, d'éradication des trafiquants de drogue" pour justifier l'imposition "d'un impôt de sécurité", dit la sociologue Thais Duarte, co-auteure d'un ouvrage sur les milices de Rio.

A la différence des narcotrafiquants, les miliciens ont un fort "enracinement dans l'appareil d'Etat" et bénéficient de leur "grande connaissance des actions de sécurité publique", pour étendre leur territoire, dit-elle.

Telles une mafia, elles contrôlent les services publics comme la distribution du gaz, de l'internet, les transports locaux ou la télévision par câble, à des tarifs prohibitifs.

"Les trafiquants répondent à des stéréotypes considérés négatifs, ce sont généralement des Noirs des favelas", explique Mme Duarte, alors que les miliciens "sont blancs, plus âgés, et ont une légitimité et une force" plus grande, et ne se cantonnent pas aux favelas.

Une milice peut engranger plus de six millions d'euros par mois dans un seul quartier de l'ouest de Rio de Janeiro. C'est leur levier économique et leur pénétration de la police et de l'appareil d'Etat qui protège les milices.

Elles "vendent des voix dans des zones entières aux politiques", auxquelles elles offrent une protection armée pour qu'une fois élu, ceux-ci "ne touchent pas à leurs intérêts", explique José Cláudio Souza Alves.

Ou elles font campagne elles-mêmes pour faire élire leurs hommes. La campagne des municipales 2016 a été particulièrement sanglante: une quinzaine de candidats a été assassinée.

Si la "Liga de la Justicia" (Ligue de justice) domine des quartiers entiers de Rio, les milices sont atomisées en de nombreux groupes et maintiennent un profil bas.

Toutefois en 2008, des chefs miliciens ont été arrêtés après la séquestration, avec torture, d'une équipe de journalistes du quotidien "O Dia".

Mais ceci n'a pas empêché les milices de prospérer.

"Le seul moyen de combattre les milices est de s'attaquer à leur pouvoir économique", dit M. Souza.

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