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En Arménie, une transsexuelle défie le conservatisme

Dans une Arménie très conservatrice, Lilit Martirossian était consciente qu'elle provoquerait des réactions en dénonçant les violations des droits LGBT devant le parlement de ce pays du Caucase. Ont suivi invectives, manifestations et menaces de mort.

Le combat et les déboires de cette transsexuelle de 28 ans montrent l'ampleur des difficultés que vivent au quotidien les membres de la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenre) dans cette ex-république soviétique, malgré l'arrivée au pouvoir il y a un d'un pouvoir réformateur.

"Aujourd'hui, nous marquons l'Histoire (...) en tant que femme transgenre, je m'adresse à l'Assemblée nationale", a-t-elle lancé en avril, devenant la première personne ouvertement LGBT à s'exprimer devant les députés en Arménie.

"Je suis la personnification de tous les Arméniens transsexuels: torturés, violés, enlevés, passés à tabac, brûlés, immolés, poignardés, tués, forcés à l'exil, dépouillés, stigmatisés et discriminés, au chômage et pauvres", a-t-elle affirmé.

En ce lieu solennel, son intervention a constitué un geste audacieux dans un pays où l'homophobie s'exprime très ouvertement, comme dans beaucoup d'autres ex-républiques soviétiques.

Lilit Martirossian a profité d'une session du Comité parlementaire sur les droits humains, organisée conjointement avec l'ONU et ouverte à tous, pour prendre la parole en tant que fondatrice et responsable d'une ONG dédiée à la défense et au soutien des personnes LGBT, "Le bon côté".

- "Vicieuse" -

Son discours a été suivi de manifestations anti-LGBT devant le Parlement et a provoqué l'indignation des députés conservateurs.

Gaguik Tsaroukian, l'influent chef du parti d'opposition Arménie prospère, a qualifié la communauté LGBT de "vicieuse", tandis que le député Vartan Goukassian, membre du même parti, a réclamé l'expulsion du pays des "pervers" transsexuels.

Lilit Martirossian, qui a suivi un traitement hormonal et une opération de changement de sexe il y a quelques années, a fait le choix de garder le genre masculin dans ses documents d'identité, alors qu'elle aurait pu changer de sexe officiellement, en vertu d'une loi en vigueur depuis 2005.

Un acte de militantisme, explique-t-elle: "Je préfère rester un homme sur le papier, pour qu'ils voient que je suis une vraie femme malgré le 'M' dans la colonne 'sexe' de mon passeport. Pour qu'ils comprennent que je suis une transgenre".

Elle raconte avoir reçu depuis son intervention au parlement de nombreuses menaces de mort sur les réseaux sociaux et par courriel.

"J'en ai informé la police, mais ils n'ont rien fait pour me protéger. Je vis aujourd'hui en secret chez un ami. Je ne peux plus sortir", affirme-t-elle dans les locaux de son ONG à Erevan, où elle est arrivée dans une voiture aux vitres teintées.

- "Nous n'allons brûler personne" -

La représentation de l'Union européenne en Arménie et les ambassades des pays membres ont pour leur part condamné les menaces. L'ONU s'est également dite "inquiète" de la situation.

Sur la défensive, le ministère des Affaires étrangères arménien a appelé les diplomates étrangers à "montrer davantage de respect et de compréhension envers la société arménienne" et à "s'abstenir de s'ingérer de manière indue dans le débat public".

Ce n'est qu'à demi-mots que le Premier ministre réformateur arménien Nikol Pachinian a offert son soutien à la jeune femme.

"Il y a 18 personnes transgenre en Arménie. Nous n'allons brûler personne. Nous allons défendre les droits de chaque citoyen arménien (...) mais nous restons les défenseurs de la famille arménienne traditionnelle et des valeurs traditionnelles", a déclaré M. Pachinian à des journalistes.

La branche européenne de l'Association internationale lesbienne et gay (ILGA Europe) classe l'Arménie au 47e rang sur 49 pays européens en termes de droits et libertés pour les personnes LGBT. "Les discours de haine et les violences sont encore omniprésents", relève un rapport de 2018.

"Les personnes LGBT en Arménie sont confrontées à la violence physique, psychologique et sexuelle. Elles ne sont acceptées ni par la société, ni par leurs familles. Il n'y a aucune loi pour les protéger des discriminations", déplore Mamikon Ovsepian, militant de l'organisation Pink Armenia.

- "Frappée, poignardée" -

Née dans une communauté rurale isolée, Lilit Martirossian témoigne avoir été victime de harcèlement et de discrimination depuis l'enfance, "de la part de tout le monde" dans son village.

Elle évoque sa jeunesse à contrecoeur, "trop de souvenirs douloureux".

A cause de la pression des villageois, "les membres de ma famille refusaient de me parler et de partager le repas avec moi à la table familiale", raconte celle qui dit s'être "sentie fille" depuis toute petite et qui aimait s'habiller en fille.

"Je n'ai aucun bon souvenir de mon enfance. J'ai été frappée, poignardée, humiliée. J'ai été violée lorsque j'étais adolescente. A l'âge de 13 ans, j'ai été forcée à me prostituer: la seule profession accessible aux transgenres en Arménie".

Il y a trois ans, Lilit Martirossian a fondé l'ONG "Le bon côté", qui offre un soutien judiciaire et psychologique aux personnes LGBT en Arménie.

Elle refuse de quitter son pays.

"Mon discours au parlement s'est révélé infructueux, mais je suis une militante et je continuerai à défendre les intérêts de la communauté LGBT."

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