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En Jordanie, des enseignants cumulent deux emplois pour survivre

Professeur de sciences le matin, livreur à domicile l'après-midi: Mohamed, comme de nombreux enseignants jordaniens, peine à boucler ses fins de mois et dit n'avoir d'autre choix que d'avoir un deuxième travail.

Après un mois d'une grève qui a paralysé environ 4.000 écoles publiques, et laissé devant les grilles des établissements plus d'1,4 millions d'élèves, les enseignants ont obtenu dimanche dernier une revalorisation de leurs salaires de base.

Selon un responsable syndical, le gouvernement a consenti à des hausses allant de 35 à 75% des salaires de base de ses membres, malgré la situation économique très précaire d'un pays où le revenu brut moyen est d'environ 550 euros et le revenu minimum de 275 euros.

D'après Mohamed, cette augmentation, bien que sensible, ne règle toutefois pas ses problèmes de fin de mois.

"Je dois travailler après les cours, car mon salaire ne suffit pas à couvrir les besoins de première nécessité", dit ce professeur qui travaille aussi comme livreur à domicile.

Agé de 36 ans, il a recours à un faux nom, par crainte de perdre son travail principal dans un pays où les fonctionnaires ne sont pas autorisés à exercer deux métiers.

"Même avec cette augmentation (...), je suis obligé de continuer mon second travail. La vie est difficile", souffle-t-il.

Chaque jour, il quitte ainsi la province de Madaba, à 30 km au sud d’Amman, pour livrer de la nourriture aux clients de la capitale, pour un revenu de 300 dinars (390 euros) par mois.

Teint hâlé et barbe brune, il affirme que plus de la moitié de son salaire mensuel d'enseignant de 430 dinars (environ 550 euros) va au remboursement d'emprunts bancaires contractés pour son mariage il y a six ans.

Lui et sa femme devraient vivre avec 200 dinars par mois, dans un pays où le coût la vie augmente en flèche, note-t-il.

Mohamed dit ne pas "mourir de faim", mais affirme ne pas pouvoir acheter "d'habits, de voiture ou de télévision" neufs, encore moins dîner au restaurant.

S'il était "obligé de consulter un médecin ou d'aller dans une clinique privée, la moitié du salaire y passerait", se plaint-il.

- "Grande douleur" -

Selon Noureddine Nadim, porte-parole du syndicat des enseignants, "aucun professeur ne peut survivre sans exercer un second métier".

Lui ne craint pas d'affirmer qu'il exerce deux métiers --professeur et chauffeur de taxi. "Les gens veulent vivre, mais les salaires ont été rognés par l'inflation, la cherté de la vie et les difficultés économiques", clame-t-il.

M. Nadim, 49 ans dont 23 ans passés dans l'enseignement, touche 600 dinars jordaniens (850 dollars) et dit ressentir "une grande douleur" quand un de ses élèves "monte à bord" de son taxi et "paie la course un ou deux dinars".

Il évoque le sort d'une enseignante malade du cancer, obligée elle aussi d'exercer un second métier. L'ayant appris, le ministère de l'Education l'a sanctionnée et lui a demandé de payer une amende d'environ 2.000 dinars (2.700 euros), avance-t-il.

Si la situation continue, prévient-il, la Jordanie "se dirige vers une situation de fracture sociale".

Ibrahim, professeur depuis plus de 10 ans, affirme lui aussi que "même l'augmentation de 50% du salaire de base ne suffira pas".

Les enseignants du secteur public réclamaient depuis plusieurs années une telle hausse de leur salaire de base, "le plus bas parmi les fonctionnaires de l'Etat" selon leur syndicat.

Le gouvernement jordanien a longtemps argué de la situation critique des comptes publics du royaume, dépourvu de ressources énergétiques et qui a aussi accueilli ces dernières années des centaines de milliers de réfugiés syriens, en demandant en vain une aide internationale plus substantielle.

Dimanche, le ministre des Affaire juridiques, Moubarak Abou Yamin, qui a dirigé la délégation du gouvernement aux négociations, s'est réjoui de l'accord.

Il marque la "détermination du gouvernement pour que l'enseignant puisse garder la tête bien haute", a-t-il jugé.

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