Accueil Actu

Génocide rwandais: deux ex-maires condamnés à vie de retour devant la justice française

La tension était palpable mercredi aux assises de Paris, au premier jour du procès en appel de deux anciens maires rwandais, condamnés en 2016 à la prison à vie pour leur participation au génocide des Tutsi dans leur village en avril 1994.

Pour ce second procès, les nouveaux avocats des accusés s'inscrivent dans une stratégie de pilonnage: refus de voir les débats filmés, dénonciation des faibles moyens de la défense, recours pour faire cesser des publications "attentatoires à la présomption d'innocence" sur le site d'une partie civile, volonté de recroiser le fer sur la genèse du génocide au Rwanda...

Octavien Ngenzi, 60 ans, et Tito Barahira, 67 ans en juin, qui se sont succédé à la tête de leur bourg rural de Kabarondo, dans l'est du Rwanda, sont restés placides face aux premières escarmouches. Respectivement en détention depuis 8 et 5 ans, ils ont toujours nié leur implication dans les massacres.

Le premier est assis seul sur le banc des accusés, chandail clair et fines lunettes. Le second, toujours sous dialyse pour une insuffisance rénale, a retrouvé son fauteuil bleu, plus confortable.

Ils avaient été jugés coupables de "crimes contre l'humanité" et "génocide" et condamnés à la peine maximale. La plus lourde condamnation prononcée en France en relation avec les massacres de 1994 au Rwanda, après celle - confirmée en appel - de l'ex-capitaine de l'armée Pascal Simbikangwa à 25 ans de réclusion, pour génocide et complicité de crime contre l'humanité.

Echapperont-ils cette fois à la prison à vie? C'est l'enjeu majeur de ce second procès.

L'accusation avait situé les bourgmestres au coeur de la machine génocidaire: un Ngenzi "opportuniste", qui a "basculé du côté obscur", et un Barahira "granitique", qui "a nié l'existence du génocide".

"Nous attendons la confirmation d'un verdict qui a entendu la détresse des victimes", a déclaré à l'AFP Alain Gauthier, président d'une association à l'origine de la plupart des enquêtes liées au génocide en France.

Comme en 2016, des dizaines de témoins seront entendus, venus du Rwanda ou en visioconférence. Au total, 34 victimes ou associations se sont constituées parties civiles, avec l'espoir de voir "confirmer la fin de l'impunité" en France, où quelque 25 procédures liées au génocide sont en cours.

- Débat "fort polarisé" -

De son côté, la défense veut "rééquilibrer le débat" en demandant à entendre ses propres "témoins de contexte" face à ceux de l'accusation, dont certains n'avaient pas caché en première instance leur appréciation positive du régime de Paul Kagame, l'actuel président rwandais issu de la rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR).

Les avocats d'Octavien Ngenzi veulent entendre l'actuel ministre rwandais de la Défense James Kabarebe, pour son rôle dans l'offensive du FPR, mais aussi des auteurs controversés comme le journaliste Pierre Péan ou le chercheur belge Filip Reyntjens.

Regrettant un débat toujours "fort polarisé" en France, "virulent", allant jusqu'à l'"entreprise d'intimidation", l'historien belge a refusé de venir, expliquant dans une lettre à la cour être "dans l'impossibilité de (s)'exprimer sans crainte, comme le veut le serment".

En 2016, huit semaines de débats avaient donné à voir un génocide entre voisins, sur les collines où l'on participait autrefois ensemble aux travaux communautaires. Un crime de proximité, loin des centres du pouvoir.

A Kabarondo, le massacre le plus effroyable a eu lieu le 13 avril à l'église, où des milliers de paysans tutsi s'étaient réfugiés, espérant gagner un sanctuaire.

Comme ailleurs au Rwanda, où les tueries débutent peu après l'attentat contre le président hutu Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994, les massacres gagnent vite Kabarondo. Mais au village, où tout le monde se connaît, ce sera un génocide éclair.

Selon l'ONU, plus de 800.000 personnes, des Tutsi dans leur immense majorité, ont été tuées en cent jours à travers le pays. Plus de 2.000 en un seul jour à l'église de Kabarondo, selon son curé.

Les débats sont prévus jusqu'au 6 juillet.

À lire aussi

Sélectionné pour vous