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Islam de France: une consultation lancée comme un pavé dans la mare

Alors que le plan d'Emmanuel Macron pour réorganiser l'islam de France se fait attendre, un acteur inattendu s'invite dans le débat: le très militant Marwan Muhammad, ex-directeur du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), a lancé mercredi une "consultation des musulmans".

Ce statisticien, ancien trader et ex-diplomate âgé de 39 ans, bénéficie de nombreux relais sur les réseaux sociaux, où il est suivi par plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Français né de père égyptien et de mère algérienne, Marwan Muhammad est vu par ses détracteurs comme un redoutable militant de l'islam identitaire et politique, ce dont il se défend en se présentant comme un "musulman lambda". Il ne rechigne pas à descendre dans l'arène médiatique, où certains l'imaginent déjà prendre la place laissée vacante par l'intellectuel Tariq Ramadan, pris dans la tourmente d'accusations de viols.

Dans une tribune publiée par Le Monde, Marwan Muhammad dit vouloir consulter ses coreligionnaires pour "définir les bases de ce que pourrait être l'organisation des communautés musulmanes" à l'avenir et "poser les fondations d'une relation constructive et franche avec l’État". Selon lui, les quelque 5 millions de musulmans vivant en France "n'ont toujours pas d'instance représentative d'ampleur nationale qui soit à la hauteur des enjeux de notre temps".

"L'interminable déshérence" du Conseil français du culte musulman (CFCM), instance élue émanant des mosquées depuis 2003, "n'en est qu'une triste illustration". "Les ministres de l'Intérieur successifs ont choisi leurs interlocuteurs comme un fait du prince et les musulmans, au mépris du principe de laïcité, ont dû s'en accommoder. L'Algérie, le Maroc puis la Turquie ont vu leurs représentants nommés à la tête de l'institution dont les musulmans, agacés, lassés puis désabusés, ont fini par ne plus rien attendre", fait-il valoir.

Son initiative intervient alors que le chantier de l'"islam de France" semble au milieu du gué, dans l'attente d'une réorganisation promise depuis plusieurs mois par le président Emmanuel Macron.

Un chantier engagé sans grand succès par les gouvernements successifs: le CFCM est jugé largement inefficace pour répondre aux défis de la formation des imams et à l'urgence d'un contre-discours face à la radicalisation jihadiste, dans un pays frappé par une série d'attentats depuis 2015.

- "Pas très fair play" -

Pressé par l’État de préparer sérieusement ses prochaines élections, prévues en 2019 au terme de six ans d'une présidence tournante paralysante, le CFCM voulait lancer sa propre consultation avant le 30 juin.

"On y travaille. Nous, nous n'avons pas le droit à l'erreur", explique à l'AFP son président Ahmet Ogras, manifestement irrité par l'initiative de Marwan Muhammad, "pas très fair play".

"Il y a zéro concurrence dans ma démarche", répond l'intéressé, affirmant que le site qu'il a lancé pour diffuser son questionnaire (consultationdesmusulmans.fr) a été "submergé par plusieurs milliers de visites" en quelques heures.

Marwan Muhammad "essaye de se positionner depuis assez longtemps, avec talent", estime de son côté le consultant Hakim El Karoui, auteur d'un rapport retentissant sur l'islam de France pour l'Institut Montaigne en 2016. "Il est sur un terrain victimaire - +les Français musulmans sont mal représentés, ils sont les victimes des pays étrangers+ - mais par ailleurs il ne propose rien", tranche ce conseiller réputé avoir l'oreille d'Emmanuel Macron sur ces questions.

Marwan Muhammad "ne représente que les jeunes de la deuxième ou de la troisième génération issues de l'immigration maghrébine", juge Didier Leschi, auteur de l'essai "Misère(s) de l'islam de France".

Mais le militant assure vouloir inclure toutes les tranches d'âge et "toutes les sensibilités musulmanes", des soufis aux salafistes. Il entend communiquer les premiers résultats de sa consultation avant fin juin.

Son agenda vient percuter celui de l'exécutif, alors qu'Emmanuel Macron a promis de "poser les jalons de toute l'organisation de l'islam de France" (financement, formation des imams...) avant la fin du premier semestre 2018.

A ce jour, le chef de l'État n'a pas précisé davantage son calendrier. "Ce que je peux vous dire, c'est qu'il travaille et que la réflexion progresse", assure Hakim El Karoui.

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