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L'Académie française examine un rapport sur la féminisation des noms de métiers

Gardienne sourcilleuse du bon usage de la langue française, l'Académie française examine jeudi un rapport préconisant la féminisation des noms de métiers, sujet longtemps tabou au sein de l'institution fondée au XVIIe siècle par Richelieu.

Le rapport d'une vingtaine de pages, qui doit être présenté aux "Immortels" à 15H00, a été rédigé par une commission présidée par Gabriel de Broglie, 87 ans, composée de la romancière et essayiste Danièle Sallenave, du poète d'origine britannique Michael Edwards et de l'écrivaine - un mot encore refusé dans le dictionnaire de l'Académie -, Dominique Bona.

Cette dernière, biographe de Romain Gary, plaide depuis longtemps "pour une réouverture du débat à l'Académie française sur la place du féminin dans la langue française". Danièle Sallenave, de son côté, observait déjà en 2017 "que le masculin n'est pas neutre, il a été choisi comme genre dominant".

Le rapport présenté jeudi et qui pourra être amendé, devra faire ultérieurement l'objet d'un vote.

Si les académiciens acceptaient la féminisation des noms de métier - une mesure déjà en vigueur depuis une quarantaine d'années dans nombre de pays francophones comme la Belgique, la Suisse ou la province canadienne du Québec - ce serait une révolution tant l'institution du Quai de Conti a résisté bec et ongles à cette vague de féminisation venue de la francophonie.

La question de la féminisation des noms de métiers a été réglée au Québec... en 1979. Depuis 40 ans, les mots cheffe, écrivaine, ingénieure, députée ont droit de cité dans la province francophone du Canada sans que cela offusque quiconque.

Dans son livre "Le ministre est enceinte" publié l'an dernier et consacré à "la grande querelle" de la féminisation des noms, le linguiste Bernard Cerquiglini rappelait une phrase prononcée en 1997 par Maurice Druon, alors secrétaire perpétuel de l'Académie française: "libre à nos amies québécoises, qui n'en sont pas à une naïveté près en ce domaine, de vouloir se dire +une auteure+, +une professeure+ ou +une écrivaine+; on ne voit pas que ces vocables aient une grande chance d'acclimatation en France et dans le monde francophone".

"Nul puriste n'est prophète en son pays", commentait M. Cerquiglini.

- La femme de l'ambassadeur -

Dans une déclaration solennelle, publiée en 2014, l'Académie française indiquait qu'elle acceptait la féminisation des noms de métiers "qui découle de l'usage", en citant notamment les mots "aviatrice", "pharmacienne", "avocate", "compositrice", et "éditrice".

Mais, soulignait l'institution, l'Académie "rejette un esprit de système qui tend à imposer, parfois contre le vœu des intéressées, des formes telles que professeure, recteure, sapeuse-pompière, auteure, ingénieure, procureure (...) qui sont contraires aux règles ordinaires de dérivation et constituent de véritables barbarismes".

Si le mot "ambassadrice" figure bien aujourd'hui dans le dictionnaire de l'Académie française c'est pour désigner "la femme d'un ambassadeur" et non une diplomate. L'exemple choisi par l'Académie pour illustrer le mot "ambassadrice" est "Madame l'ambassadrice vous prie à dîner mardi".

Dans une tribune publiée mercredi par La Croix, l'académicien Frédéric Vitoux, président de la Commission d'enrichissement de la langue française, estimait que l'Académie "n'est pas contre la féminisation des noms par principe".

"Pour certains métiers, c'est simple?: on n'a jamais eu d'interrogation avec actrice ou directrice", expliquait l'académicien. "Pour d'autres, ajoutait-il, il y a des difficultés objectives, parce que la racine des noms ne s'y prête pas ou parce que cela crée de la confusion. Par exemple, comment dire médecin au féminin sans créer de confusion sémantique avec la discipline?? Faudrait-il dire une médecin, une femme médecin, une praticienne?? Il y a mille solutions, mais il faut choisir".

Pour le cas du nom "médecin" l'Office québécois de la langue française a choisi simplement de dire "une médecin". La règle pour les noms épicènes (qui s'emploient au masculin ou au féminin) est de simplement changer le déterminant, précise l'Office.

L'Académie française compte actuellement seulement quatre femmes (élue à l'Académie en mai 2018, la philologue Barbara Cassin n'a pas encore été officiellement reçue sous la Coupole) contre 31 hommes. Elle compte un seul philologue (Michel Zink) dans ses rangs mais aucun linguiste ni aucun grammairien.

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