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L'Amérique face au casse-tête du "gerrymandering"

Dans la démocratie américaine, les électeurs désignent-ils les élus ou les élus désignent-ils les électeurs ? La Cour suprême des Etats-Unis a examiné mercredi cette question cruciale qui pèsera sur les élections du milieu du mandat de Donald Trump.

C'est la deuxième fois en quelques mois que l'examen de la pratique du découpage inéquitable des circonscriptions de vote vient devant la haute cour. Une cuisine électorale extrêmement répandue nommée "gerrymandering".

Cette fois, des républicains ont attaqué en justice le charcutage effectué par les démocrates d'une circonscription électorale de l'Etat du Maryland.

En octobre dernier, les juges de la haute cour s'étaient penchés sur des découpages républicains déloyaux dans le Wisconsin. Ils n'ont pas encore rendu leur jugement dans cette affaire. Lors des deux audiences, ils sont apparus perplexes.

L'exemple du Maryland est parlant: les démocrates y détenaient six circonscriptions, contre deux pour les républicains. Les élus majoritaires sont parvenus à accroître cet avantage en redessinant la carte électorale en 2011, portant leurs efforts sur la sixième circonscription, pourtant solidement républicaine.

"Les autorités législatives du Maryland ont sorti 360.000 personnes (de la circonscription) et en ont ramené 350.000. Le résultat, c'est que cette circonscription votant à 47% républicain et 36% démocrate est passée à exactement le contraire: 45% démocrate et 34% républicain", a analysé mercredi la juge progressiste Elena Kagan.

"S'il ne s'agit pas d'une intention partiale, alors qu'est-ce que c'est ?", a-t-elle interrogé.

- Justice réticente -

Aux Etats-Unis, où Donald Trump a été élu avec moins de voix que son adversaire Hillary Clinton, les remaniements arbitraires des cartes électorales pour avantager un parti sont fréquents.

Mais, depuis des années, la Cour suprême est réticente à statuer sur le gerrymandering, d'abord ne sachant pas quels critères appliquer, ensuite redoutant une avalanche de contestations électorales.

"Existe-t-il un remède réaliste qui évitera que les juges se retrouvent mêlés à des dizaines et des dizaines et des dizaines de décisions politiques importantes ?", a encore demandé mercredi Stephen Breyer, magistrat qu'avait nommé à la Cour suprême l'ex-président Bill Clinton.

"L'éternelle question est de définir où est la limite du +trop politique+ dans un processus de redécoupage qui est, selon cette cour, par définition politique", avait auparavant fait valoir Steven Sullivan, l'avocat du Maryland.

La Constitution des Etats-Unis affirme pourtant le principe d'égalité des citoyens et la règle "Une personne = une voix". Or le gerrymandering conduit à diluer des millions de votes.

"Le gerrymandering intentionnel et extrême apparaît être une violation manifeste de la Constitution", a d'ailleurs estimé M. Breyer.

L'enjeu est donc énorme: pour la première fois, la Cour suprême pourrait d'ici juin tracer des limites au gerrymandering, en étudiant la possibilité d'un outil technique jugulant ce moyen des partis politiques pour s'assurer des avantages.

- Avantage aux républicains -

Les cartes des circonscriptions pour les élections d'Etat et les scrutins fédéraux sont redessinées après le recensement décennal de la population américaine.

Dans la plupart des cas, les parlementaires élus dans chaque Etat dressent la nouvelle carte.

Le gerrymandering est souvent vu comme un sport national des républicains, le Maryland étant en l'espèce un contre-exemple.

Cela s'explique notamment car, après les élections de 2010, les républicains se sont retrouvés seuls à la barre pour redessiner les cartes électorales de 21 Etats, dans le sillage du recensement décennal.

Le gouvernement de Donald Trump a décidé d'ajouter une question sur la citoyenneté dans le prochain recensement de la population en 2020, une décision qui selon certains pourrait aggraver le gerrymandering.

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