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L'inquiétant retour de jihad d'une famille au cœur d'un procès à Paris

Après 18 mois de jihad en Syrie, ils étaient rentrés en France bardés de milliers d'euros et d’une documentation suscitant l'inquiétude: Lotfi S., qui avait exercé des fonctions stratégiques sur place, et son fils aîné Karim, sont jugés jeudi et vendredi à Paris.

C’est l’histoire d’un jihad entre hommes et en famille. Mi-octobre 2013, Lotfi S., Franco-Tunisien aujourd'hui âgé de 50 ans, avait quitté le Val d'Oise avec ses deux fils, Karim, bon élève devenu étudiant, et son cadet, un lycéen de 15 ans.

Direction la Syrie et les zones tenues alors par l'organisation islamiste Ahrar al Sham, où se trouvait déjà le meilleur ami de Karim, Anass. Puis Raqa, fief syrien de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), autoproclamé "Etat islamique" (EI) quelques mois plus tard.

Père et fils ont longtemps assuré n'avoir voulu partir que quelques jours, pour récupérer Anass. Un récit "concerté" impossible à croire, selon les enquêteurs, qui relèvent que leur départ se voulait sans retour: l'appartement du père avait été vidé, comme les comptes bancaires de la famille.

Pour consoler leur mère, divorcée de Lotfi S., les fils lui avaient expliqué une fois partis que le jihad armé était une "obligation".

Les S. sont restés 18 mois en Syrie. Interpellés début mai 2015 alors qu'ils tentaient de passer en Turquie, ils avaient été expulsés vers la France.

Sur eux avaient été retrouvés 8.300 euros et 3.700 dollars, saisie "inédite" dans ce type de procédure, selon les enquêteurs.

Mais aussi de l'informatique où figuraient, parmi une propagande jihadiste fournie, une "abondante documentation technique sur le pilotage d'avion et les produits chimiques", selon l'accusation.

Des dizaines de photos de cartes d'aviation, des procédures d'atterrissage, des photos des pièces d'identité de deux des auteurs des attentats du 11 septembre 2001 à New York, des indications sur le pilotage d'un Boeing, des manuels de confection d'explosifs...

- "Vives inquiétudes" -

Sur un ordinateur avaient été découvertes des recherches Google Maps de l'emplacement de la Tour Eiffel et du pont d'Iéna à Paris.

Pour le juge, le tout "laisse prospérer de vives inquiétudes sur les réelles intentions" de la famille et sur "leurs motivations quant à leur retour sur le sol national".

Se posera donc au tribunal la question du pourquoi ce retour en France.

Un certain flou subsiste autour du séjour syrien des S. qui assurent n'avoir jamais combattu, prétendent ne pouvoir citer aucun jihadiste français malgré un long séjour dans la capitale du "califat" et justifient une grande partie des éléments accablants - documentation, propos à leurs proches - par une nécessité de "jouer le jeu" du jihadisme pour se fondre dans la masse.

Thèse "difficilement soutenable" pour le juge, au vu des responsabilités de Lotfi S. au sein de l'EI. Gérant de société avant son départ, cet homme radicalisé de longue date semble avoir mis sa formation d'ingénieur télécoms au service de l'organisation au point d'en devenir un haut responsable des télécommunications.

Il a assuré avoir voulu rentrer après avoir été emprisonné plusieurs mois par l'EI entre 2014 et 2015 en raison d'une erreur - il aurait rétabli le réseau téléphonique dans une zone de combats où celui-ci aurait alors profité à l'armée de Bachar al-Assad, mais la justice peine à comprendre pourquoi il aurait été libéré après de telles accusations.

Lotfi et Karim S. encourent dix ans d'emprisonnement. Le cadet, âgé aujourd'hui de 20 ans, comparaîtra en octobre devant le tribunal pour enfants.

Présumé mort en Syrie, Anass sera quant à lui jugé par défaut, procédure habituelle quand manque une preuve irréfutable du décès.

Ce bon élève avait disparu sans crier gare en mars 2013, alors qu'il était encore mineur. Parti, selon les enquêteurs, "sous l'influence néfaste" de la famille S., il aurait été tué au combat au bout de quelques mois, âgé de 18 ans.

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