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Beyrouth: Thérèse a tout perdu et comme elle, de nombreux Libanais protestent et provoquent la démission de ministres

La journaliste pour RTL Alice Moreno est allée à la rencontre d'une famille sinistrée. Vingt ans de la vie de cette famille se sont écroulés à cause de l'explosion. "C'est la cuisine, tous les murs sont cassés", Vincent montre l'état de leur maison sur une vidéo, c'est un champ de ruines. "Quand il y a eu l'explosion, un mur est tombé sur mes parents et mes sœurs, raconte Thérèse, la fiancée de Vincent. Les pierres leur sont tombées dessus, ils étaient sous les décombres"

Thérès devait être au chevet de ses sœurs blessées mais elle a dû chercher un logement. Elle a finalement trouvé un petit 3 pièces pour accueillir 8 personnes : "C'était très difficile. Pendant trois jours on a fait le tour de Beyrouth pour trouver. Finalement c'est un ami qui nous a indiqué cet appartement. D'autres nous ont ramené nos meubles. Lorsqu'on lui demande si l'État lui est venu en aide, la réponse est clair : "Non, jamais ils ne nous aident".

Lors de l'explosion, les bureaux dans lesquels Thérèse travaillaient ont aussi été soufflés. En plus d'avoir perdu la maison dans laquelle elle a grandi, elle vient de perdre son emploi. De nombreux Libanais se retrouvent encore sans logement. Face à cette situation, la colère de la rue monte et les premières conséquences ont lieu. Trois ministres ont depuis lors remis leur démission.

Premières démissions au sein du gouvernement

Deux premiers membres du gouvernement ont démissionné dimanche au Liban, où des heurts ont opposé pour le second jour consécutif les forces de l'ordre à des manifestants accablés et furieux contre les autorités, cinq jours après l'explosion meurtrière du port de Beyrouth. Lors d'une visioconférence co-organisée par l'ONU et la France pour aider le Liban, 252,7 millions d'euros d'aide -immédiate ou mobilisable à brève échéance- ont été collectés pour porter secours aux victimes de l'énorme déflagration, selon la présidence française.

La communauté internationale y a affirmé qu'elle n'allait "pas laisser tomber" le pays du Cèdre, mais exigé que son aide soit "directement" distribuée à la population et qu'une enquête "transparente" soit menée sur les causes de la catastrophe. Face à l'ampleur du drame et l'ire de la population, qui réclame depuis des mois le départ de l'ensemble d'une classe dirigeante accusée de corruption, d'incompétence et de négligence, la ministre de l'Information a présenté sa démission. "Je m'excuse auprès des Libanais, nous n'avons pu répondre à leurs attentes", a déclaré Mme Manal Abdel Samad devant la presse.

Quelques heures plus tard, le ministre de l'Environnement et du développement administratif, Damianos Kattar, annonçait lui aussi son départ du gouvernement "face à l'énorme catastrophe (...) et (...) un régime stérile qui a raté de nombreuses opportunités". Le chef du gouvernement, Hassan Diab, avait rencontré dans la journée plusieurs ministres, les médias locaux évoquant de possibles démissions. Puis la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, a présenté sa démission lundi. "La ministre a remis sa démission", a indiqué un responsable du ministère de la Justice. 

La déflagration a fait mardi 158 morts et 6.000 blessés selon un bilan officiel. Une vingtaine de personnes sont toujours portées disparues mais l'espoir s'amenuise de retrouver des survivants, a souligné l'armée. Elle a été causée par 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium stockées depuis six ans au port de Beyrouth "sans mesures de précaution", de l'aveu même de M. Diab. Dans un pays déjà mis à genoux par une crise économique inédite aggravée par l'épidémie de Covid-19, des quartiers entiers de Beyrouth ont été dévastés par l'explosion, qui a provoqué un cratère de 43 mètres selon une source de sécurité. Et des centaines de milliers de Libanais se retrouvent sans abri.


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Le président du Parlement, Nabih Berri, a convoqué une réunion du Parlement jeudi "pour interroger le gouvernement sur le crime qui a frappé la capitale", d'après l'agence de presse étatique ANI.

"Mon gouvernement m'a tuée"

Cette tragédie a revigoré la contestation inédite déclenchée fin 2019, qui s'était essoufflée avec la pandémie. Chômage, services publics en déliquescence, difficiles conditions de vie: un soulèvement avait éclaté le 17 octobre pour réclamer le départ d'une classe politique quasi-inchangée depuis des décennies. La crise économique s'était encore aggravée les mois suivants, malgré l'avènement d'un nouveau gouvernement.

Dimanche, sur l'emblématique place des Martyrs, des centaines de manifestants se sont à nouveau rassemblés, brandissant des drapeaux libanais, sur fond de chants patriotiques. Des tentes ont été installées pour distribuer du pain, de l'eau et des repas chauds. Trois jeunes femmes ont brandi des portraits de leur amie Rawan, 20 ans, qui se trouvait lors de l'explosion dans le quartier de Gemmayzé, aujourd'hui dévasté. Ses proches l'ont retrouvée mercredi dans un hôpital, décédée. "Mon gouvernement m'a tuée", pouvait-on lire sur son portrait. "Ceux qui sont morts payent le prix d'un Etat qui s'en fout, qui ne s'intéresse qu'au pouvoir et à l'argent", lâche Tamar, 23 ans.

 
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Plus tard, sur une avenue menant au Parlement, des manifestants ont jeté des pierres et tiré des feux d'artifice en direction de la police qui a répliqué avec des tirs de lacrymogène, a constaté un correspondant de l'AFP. Les manifestants scandaient "Révolution révolution!", certains tentant d'escalader les imposantes barricades de fer érigées par la police dans le secteur du Parlement.


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Samedi, des milliers de manifestants avaient brièvement pris d'assaut les ministères des Affaires étrangères, de l'Economie, de l'Energie, ainsi que l'Association des banques. Quelque 250 personnes ont été blessées dans les heurts de samedi, dont 65 hospitalisées, d'après la Croix-Rouge libanaise. Vingt personnes ont été interpellées, selon un comité d'avocats pour la défense des manifestants, qui a dénoncé la "violence excessive" des forces de l'ordre. Et un policier est mort d'une chute après avoir été agressé par des "émeutiers", selon la police.


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