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Turquie: Basaksehir se rêve en nouveau maître d'Istanbul

Son stade sonne creux, il a une histoire balbutiante et n'a aucun trophée, mais l'Istanbul Basaksehir connaît une ascension fulgurante qui menace le triumvirat Galatasaray-Fenerbahçe-Besiktas régnant sans partage depuis des décennies sur le football turc.

Pour ses nombreux détracteurs, Basaksehir est un club artificiel, cinquième colonne d'un chef d'Etat, Recep Tayyip Erdogan, bien décidé à mettre au pas un milieu du ballon rond réputé turbulent.

Reste que cette ancienne équipe municipale joue depuis quatre ans les premiers rôles en championnat. Cette saison encore, Basaksehir fait la course au titre avec Galatasaray, même s'il a trébuché vendredi en concédant un nul en fin de match contre le Sivasspor de Robinho.

Malgré son manque de notoriété et son implantation dans un district d'Istanbul excentré, Basaksehir a réussi depuis deux ans à attirer des pointures, comme le buteur togolais Emmanuel Adebayor, le latéral français Gaël Clichy ou encore le Turc Arda Turan.

"On est en train de monter en puissance", souligne l'attaquant franco-turc Mevlüt Erdinç, qui a rejoint Basaksehir l'été dernier. "On veut être dans les meilleurs", dit-il à l'AFP.

"Aujourd'hui, Basaksehir s'est imposé et fait partie des plus grands clubs", fanfaronne Burak Bilgili, leader de Basaksehir 1453, le principal groupe de supporters du club orange et bleu marine. "Désormais, il y a quatre grands clubs à Istanbul".

Que de chemin parcouru pour cette équipe qui, il y a quatre ans à peine, n'était qu'un club municipal au bord de l’extinction !

Dans la jeune histoire de ce club créé en 1990, l'année 2014 marque un tournant: la municipalité d'Istanbul s'en sépare, en raison des coûts exhorbitants, et l'équipe passe sous le giron d'hommes d'affaires réputés proches du parti politique au pouvoir, l’AKP.

- 'Extraordinaire' -

Le club fait peau neuve. Il s'installe dans le district conservateur de Basaksehir, à l'horizon barré de HLM et à une heure de route du centre d'Istanbul. Il en prend le nom et y érige son nouveau stade, baptisé Fatih Terim.

L'ascension commence: quatrième du championnat en 2015 et 2016, Basaksehir rate de peu le titre l'année dernière, finissant deuxième.

Avec la participation de l'équipe aux compétitions européennes, les observateurs étrangers découvrent une équipe au jeu offensif séduisant.

Champion d'automne cette saison, le club lutte à nouveau pour le titre. "Nous sommes en train de faire la course avec des clubs centenaires. C'est une situation extraordinaire", s'émerveillait le mois dernier l'entraîneur de Basaksehir, Abdullah Avci.

A l'origine de ce "miracle", explique à l'AFP le chroniqueur sportif Bagis Erten, "il y a deux hommes: l'entraîneur Abdullah Avci et le président Göksel Gümüsdag".

Technicien respecté, Avci, qui a entraîné la Turquie de 2011 à 2013 et dirige Basaksehir depuis 2014 après un premier mandat de 2006 à 2011, a apporté une stabilité qui détonne dans un pays où le banc d'entraîneur est particulièrement brûlant.

Gümüsdag, un homme d'affaires proche du président Erdogan, a apporté son entregent et une gestion rigoureuse qui tranche avec l'endettement massif des grands clubs stambouliotes.

Les deux sont à l'origine d'un recrutement astucieux, à l'image du "Wonderkid" Cengiz Under, acheté pour une bouchée de pain à Altinordu en 2016, puis revendu l'année suivante pour 15 millions d'euros à la Roma.

- Ombre d'Erdogan -

Cependant, malgré son succès croissant, Basaksehir peine à se constituer un public digne d'être comparé à celui des clubs centenaires que sont Galatasaray, Fenerbahçe et Besiktas, ou même d'équipes plus modestes avec une vraie communauté.

Les tribunes du stade de 17.000 places sont régulièrement aux trois-quarts vides, et l'enthousiasme désordonné des groupes d'écoliers du quartier qui y prennent place peine à couvrir les voix de footballeurs sur le terrain.

La proximité entre le club et le gouvernement, incarnée par M. Gümüsdag, neveu par alliance de l'épouse de M. Erdogan et membre du conseil municipal d'Istanbul, rebute les puristes.

Ex-joueur de football semi-professionnel, M. Erdogan a notamment participé au match d'inauguration du stade Fatih Terim en 2014. (Il a marqué un triplé.) Le mois dernier, il a exhorté les élus locaux à redoubler d'efforts pour remplir l'enceinte encore trop vide.

"De toute évidence, le gouvernement soutient ce club", souligne M. Erten. "L'objectif principal est de symboliser le pouvoir du gouvernement et de refléter le modèle de ce gouvernement".

Signe de cette identité politique qui lui colle à la peau, sa défaite contre Galatasaray mi-avril a suscité l'engouement des détracteurs du président turc. "Galatasaray 2 - 0 Recep Tayyip Erdogan", a tweeté l'une de ses opposantes, Meral Aksener.

Mais Bilgili, de Basaksehir 1453, rejette en bloc les accusations. "On a commencé à entendre ces critiques quand Basaksehir a commencé à jouer le titre, à tutoyer les sommets, à menacer les grands".

"Qu'ils continuent de nous critiquer", poursuit-il. "Au final, on sera les champions".

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