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"La SWDE n’a pas l’air de s’en tracasser": Vincent dénonce la présence d’amiante dans les canalisations d’eau potable en Wallonie, "une matière cancérigène"

Vincent a poussé le bouton orange Alertez-nous pour nous faire part d’une inquiétude. Cet habitant de Bernissart a découvert qu’en Wallonie de nombreuses canalisations d’eau potable – dont celles de sa commune – sont encore constituées d’amiante-ciment, "une matière cancérigène", nous dit-il. Il ne comprend pas pourquoi la Société Wallonne des Eaux ne prend pas des mesures pour les faire remplacer. Celle-ci nous répond qu’à ce jour, il n’a pas été prouvé scientifiquement qu’ingérer de l’amiante peut constituer un risque pour la santé. Une explication que dénonce totalement le président de l’Association belge des victimes de l’amiante.

"En recherchant une déchetterie pour y déposer des tuiles en fibrociment contenant de l’amiante, je suis tombé sur un article qui indiquait les communes dont les canalisations de la SWDE étaient composées de la même matière ! Habitant Bernissart, qu’elle fut ma stupeur en constatant que 70% de nos canalisations étaient encore faites de cette matière cancérigène. C’est notre eau de ville qui circule dedans", nous écrit Vincent, inquiet, via le bouton orange Alertez-nous. 

Cet habitant de Bernissart, dans le Hainaut, a effectivement découvert qu’encore aujourd’hui, en Wallonie, il existe 3.100 km de conduites en amiante-ciment pour distribuer l’eau de ville. Cela représente approximativement 10% du réseau de la Société Wallonne des Eaux. Ces canalisations datent principalement de la période d’après-guerre. Elles ont été utilisées début des années 50 lorsqu’une pénurie de matériau s’est fait ressentir. Cette matière était, quant à elle, relativement disponible à l’échelle locale, raison pour laquelle elle a été fortement utilisée à l’époque. 

            Nous sommes en face d’un danger constant : l’ingestion de microfibres contenues dans l’eau

Ce type de canalisations contient entre 10 et 15% d’amiante. "On s’offusque pour des matières potentiellement cancérigènes contenues dans les emballages domestiques qui doivent disparaître à court terme et ici, nous sommes en face d’un danger constant : l’ingestion de microfibres contenues dans l’eau. Une étude française en atteste, et la SWDE n’a pas l’air de s’en tracasser", poursuit Vincent.

Certains habitants de la commune ne sont pourtant pas inquiets. "Normalement, tout a été remplacé ici, donc il n’y a pas de crainte par rapport à l’amiante-ciment", nous indique Michel, qui précise qu’il préfère acheter l’eau en bouteille. "Il y a beaucoup de calcaire dans l’eau à Bernissart. On fait à manger avec cette eau car on l’a fait bouillir, mais pas plus." Même constat chez Pietro, qui dit ne jamais avoir entendu parler de canalisations en amiante-ciment : "L’eau est fort calcaire à Bernissart, surtout du côté où j’habite. Le goût n’est pas bon. Alors je bois l’eau en bouteille."

En 51 et 75% des canalisations concernées à Frasnes-Lez-Anvaing

A une trentaine de kilomètres de Bernissart se trouve Frasnes-Lez-Anvaing. Cette commune de plus de 11.000 habitants fait partie de celles avec le plus grand nombre de canalisations en amiante-ciment. Entre 51 et 75%, selon la Société Wallonne des Eaux. Il y a quelques mois, les habitants ont, comme Vincent, découvert que les tuyaux transportant leur eau potable étaient constitués de cette matière. Et cette découverte en a poussé certains à changer leurs habitudes. "Ça m’arrive de boire de l’eau du robinet mais de plus en plus rarement depuis qu’on a été inverti qu’il y avait peut-être des risques de pollution", confie Pierre, qui avoue être méfiant.

"Au boulot, on a partagé quelques articles qui disaient qu’il y avait de l’amiante dans les canalisations à Frasnes, nous dit Solange. Au début, ça m’a un peu inquiétée et j’ai arrêté de boire l’eau du robinet pendant 2 ou 3 jours. Puis, j’ai recommencé parce que c’est plus écologique, moins cher et on m’a informée que ce qui était surtout dangereux, c’était au niveau de la respiration et moins de l’eau donc je m’en suis moins inquiétée." Claire boit aussi l’eau du robinet chez elle ainsi qu’au boulot. Cette habitante avait décidé d’arrêter de la boire mais après quelques jours, elle s’y est remise également. "Un de nos collègues, ça fait 18 ans qu’il boit cette eau-là et il se porte bien, donc vraiment, on a arrêté de s’inquiéter", glisse-t-elle.

Des analyses supplémentaires réclamées

De son côté, la bourgmestre de Frasnes-Lez-Anvaing dit prendre la chose très au sérieux. Lorsqu’elle a eu connaissance de la présence de canalisations en amiante-ciment sur le territoire de sa commune, elle a immédiatement pris contact avec la Société Wallonne des Eaux. "Ils nous ont dit qu’on allait avoir des analyses gratuites pour prouver que l’eau n’était pas dangereuse chez nous. Ils ont tout de suite été très rassurants en prenant l’élément scientifique qui est le calcaire", explique Carine De Saint Martin, qui confirme que "l’eau est très dure, donc très calcaire" à Frasnes-Lez-Anvaing. "Et comme les canalisations existent depuis très longtemps, elles sont recouvertes de calcaire à l’intérieur, ce qui pourrait protéger ces fibres d’amiante."

Analyses faites par un laboratoire indépendant, la bourgmestre de l’entité nous dit avoir reçu un courrier confirmant que les résultats étaient effectivement rassurants : "Les analyses ne contenaient pas de fibres d’amiante", dit-elle. "Au niveau du Collège communal, on ne s’est pas satisfait de ça, car on n’avait pas reçu les analyses, juste le courrier. Pour nous, on ne croit que ce que l’on voit donc forcément, on a été plus loin : on a demandé à voir cette analyse et on l’a reçue maintenant", poursuit Carine De Saint Martin. Comme indiqué par la SWDE, les analyses ne comportaient en effet pas de fibres d’amiante, "mais ce n’est qu’une analyse sur tout un territoire, à un endroit qu’ils ont bien sûr tenu secret", déplore notre interlocutrice. Elle ne s’est donc pas non plus contenté de ça : "On voudrait que la SWDE paye les frais d’une analyse par village au niveau de Frasnes-Lez-Anvaing, donc 13 sur l’entité", lance-t-elle. 


© RTL INFO

Le problème ? L’amiante n’est pas un paramètre à prendre en compte lorsqu’on analyse la qualité de l’eau. Ce n’est donc pas une obligation légale. "On doit respecter la législation wallonne contenue dans le Code de l’eau, nous informe Sébastien Ronkart, directeur qualité de l’eau au sein de la SWDE. Il y a une liste de substances qu’on doit rechercher dans l’eau pour répondre à la législation et l’amiante n’en fait pas partie."

Pourtant, la Société Wallonne des Eaux, de sa propre initiative, a décidé de mener des analyses pour les fibres d’amiante afin de s’assurer de la qualité de leur eau. Ces analyses ont été réalisées au niveau du robinet des clients, considéré comme le point de conformité. "Les résultats que nous avons obtenus sur l’eau que nous distribuons à nos clients sont rassurants. Nous pouvons mettre en évidence une absence de détection de fibres d’amiante au robinet de nos clients", assure Sébastien Ronkart. Et de poursuivre : "Je ne suis pas toxicologue mais en lisant les études de l’OMS, dont le dernier rapport spécifique sur l’amiante dans l’eau de distribution date de décembre 2021, elles concluent que le risque est plutôt lié à l’inhalation de l’amiante, donc le fait de respirer des fibres d’amiante. Mais en cas d’ingestion d’eau de distribution, le risque n’est pas avéré. Donc l’OMS conclut sur l’inintérêt d’effectuer une ligne directrice de l’amiante dans l’eau."

N’attendons pas que les gens meurent pour agir, agissons maintenant 

Une conclusion totalement "inaudible" pour Eric Jonckheere, président de l’Association belge des victimes de l’amiante (Abeva). Ce dernier estime en effet que le principe de précaution doit primer. "Des études commencent à être alarmantes sur la recrudescence des cancers du côlon et de l’estomac. On a retrouvé des fibres d’amiante dans les organes au moment de l’autopsie. Je pense qu’il faut s’inquiéter", avertit-il. "Pour l’instant, le risque n’est pas scientifiquement prouvé mais moi je dis : n’attendons pas que les gens meurent pour agir, agissons maintenant… tout comme ils le font en Suisse et en Italie", poursuit notre interlocuteur. Celui-ci nous apprend que dans ces deux pays, les autorités décident d’agir avec 200.000 fibres par litre. "En Belgique, il y a des communes en Wallonie où il y a 3 millions de fibres par litre et on lève encore les épaules", dénonce le président de l’Abeva. 

Eric Jonckheere nous dit se méfier des messages et discours prétendant qu’il n’est pas dangereux d’ingérer de l’amiante. "Pendant des années, on a essayé de nous faire croire que ce n’était pas prouvé et donc pas dangereux d’inhaler de l’amiante. Je demande qu’on n’attende pas encore des années avant de se rendre compte que des gens meurent à cause de l’amiante présente dans l’eau. Je demande que le pouvoir politique prenne des décisions et qu’on puisse enfin boire de l’eau qui soit la moins contaminée possible." Il attend en effet que des fonds soient débloqués pour que les travaux nécessaires puissent être réalisés. 


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Chaque année, la SWDE investit environ 60 millions d’euros pour le renouvellement de ses conduites d’eau. Si certaines canalisations doivent être changées pour divers critères, la Société Wallonne des Eaux assure y être attentif.  "Nous avons une grille multicritère pour évaluer la pertinence du renouvellement de notre réseau", indique le directeur qualité de l’eau de la SWDE. Des critères comme la vétusté ou la présence d’une fuite éventuelle sont observés. Mais le fait qu’un tuyau soit fabriqué à partir d’amiante-ciment ne constitue, à ce jour, pas un motif de remplacement. "A savoir que ces canalisations sont très résistantes à toute une série de phénomènes comme la corrosion. Ce sont des matériaux extrêmement stables par rapport à l’environnement dans lequel ils se situent", affirme Sébastien Ronkart.

Heureusement, ce type de matériau n’est plus utilisé depuis le milieu des années 70. Et les canalisations sont progressivement renouvelées au travers des programmes de contrôle de la SWDE. "Je pense que ça a été interdit, comme tout matériel lié à la construction. Le risque est avéré quand on manutentionne des matériaux qui contiennent de l’amiante. Mais l’interdiction est liée au matériau et pas au fait que ce soit toxique pour l’eau", conclut-il.

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