Accueil Actu

La pension d'un Liégeois de 65 ans fortement amputée: l'administration ne reconnait pas sa séparation par RÉPUDIATION il y a 41 ans

Après une carrière complète, un Liégeois d'origine marocaine a été surpris lorsqu'il a appris le montant de sa pension, beaucoup plus bas que ce à quoi il s'attendait. "Ils m'ont informé qu'ils me considéraient comme une personne isolée, sans femme à charge", déplore l'ancien ouvrier pourtant marié depuis presque 40 ans. La raison réside dans la façon dont il s'est séparé de sa première épouse, au Maroc, dans les années 70.

Après avoir travaillé pendant 49 ans en tant qu’ouvrier dans le secteur de la chimie, Hakim (prénom d’emprunt car il veut rester anonyme) envisageait la pension comme un soulagement. "J’ai travaillé très dur et pendant très longtemps, décrit cet habitant de Liège de 65 ans, après nous avoir écrit via le bouton orange Alertez-nous. Les conditions de travail n’ont pas toujours été faciles. A l’époque, dans la salle des machines, on travaillait dans la poussière, les gaz, le froid. Il fallait dégeler les engins à l’extérieur avec de la vapeur même lorsqu’il faisait -20 degrés!".

Mais Hakim a effectué une carrière complète : 42 ans en tant qu’ouvrier et 7 ans en tant que prépensionné. Au cours de sa carrière, il a d'ailleurs été décoré tous les 10 ans d'une médaille en hommage au travail fourni sans discontinuité. "J'ai donc eu l'honneur d'en recevoir quatre", se réjouit l'ouvrier.

Par ailleurs, à l'issue de sa carrière, Hakim a eu la fierté de recevoir une distinction honorifique au travail: les Palmes d'or de l'Ordre de la Couronne, décernée par le roi Philippe, par le biais du ministre des Affaires étrangères de l'époque, Didier Reynders.

Si Hakim a tenu bon durant toutes ces années, c'est avant tout pour sa femme et ses enfants : "J’ai toujours eu à coeur d’aider mes enfants financièrement pour qu’ils puissent devenir propriétaires, confie-t-il. Aujourd’hui, les temps sont durs pour les jeunes et je voulais leur donner un coup de pouce en offrant par exemple les frais de notaire." Hakim avait aussi prévu de se faire plaisir, notamment en profitant de "quelques petits voyages" avec sa femme avec qui il est marié depuis plus de 40 ans. Mais tous ces projets sont aujourd’hui remis en question.

En effet, au lieu de percevoir les 2.400 euros de pension auxquels il pensait avoir droit en tant que salarié avec une épouse à charge, Hakim se retrouve avec une pension d’environ 1.700 euros, car il est considéré comme étant "isolé". "Et les contributions exigent 6.000 euros annuels de ma part, ce qui fait que je gagne 1.200 euros par mois! C’est la même chose qu’un chômeur alors que j’ai travaillé toute ma vie", dénonce-t-il.

Hakim se retrouve donc avec la moitié du montant qu’il pensait percevoir.

Mais comment se fait-il qu’Hakim soit considéré comme isolé alors qu’il est marié à son épouse depuis plus de 40 ans? La raison se trouve dans la façon dont il a rompu le contrat de mariage qui le liait à sa première épouse, dans les années 70. Explications.

Hakim se marie une première fois et rompt le lien par répudiation

En 1977, Hakim, d’origine marocaine, travaille déjà en Belgique. Il décide de se marier avec une Marocaine et de la faire venir en Belgique auprès de lui. Le mariage est conclu au Maroc, à Meknès. Mais les deux époux ne s’entendent pas et l’union échoue rapidement. "On s’est rendu compte très vite que ça ne fonctionnait pas, se souvient-il. Malheureusement, ça arrive. Nous avons préféré rompre le lien du mariage afin que chacun puisse reprendre son chemin".

Le hic est que pour rompre leur lien matrimonial, les deux premiers époux ont procédé à un acte de "répudiation" au Maroc. "Mon ex-femme était présente ce jour-là au tribunal, se souvient Hakim. Depuis, nous n’avons plus eu aucun contact, j’ignore ce qu’elle est devenue". 

C’est cette particularité qui pose problème aujourd’hui. Car l’administration fédérale refuse de reconnaître la fin du lien matrimonial entre Hakim et son ex-épouse, au motif que cette désunion survenue en 77 était unilatérale. En effet, la répudiation heurte le principe d’égalité entre les hommes et les femmes et la non-discrimination à l’égard des femmes.

Selon la loi belge, les droits de la première épouse d’Hakim n’ont donc pas été respectés. Même si des instances telles que la ville de Liège reconnaissent la dissolution du mariage "sous une forme particulière", l’administration fédérale, elle, estime qu’Hakim est toujours marié à sa première épouse, mais en est simplement séparé. Cela fait de lui une personne "isolée", qui ne peut prétendre à une pension majorée. 


La deuxième épouse d'Hakim, avec qui il est marié depuis 40 ans, n'est pas reconnue comme étant à sa charge

En 1980, Hakim s’est pourtant remarié au Maroc, a fait venir sa deuxième épouse sur le sol belge et a fondé une famille de trois enfants avec elle. Comme le montre l'attestation ci-dessous, ce second mariage a été transcrit par la ville de Liège, mais rien n’y fait : le Service Fédéral des Pensions (SFP) considère malgré tout qu’Hakim est toujours marié à sa première épouse, mais qu’il en est simplement séparé. Conséquence: le SFP ne reconnaît pas que sa femme actuelle, avec qui il est marié depuis 40 ans, est à sa charge. Raison pour laquelle Hakim ne peut prétendre à une pension à taux majoré, comme il l'espérait.



Pourquoi Hakim a-t-il procédé à la répudiation de son épouse ? "C’était la coutume"

A cette époque-là, selon Hakim, la répudiation était la coutume. "C’est comme ça que tout le monde faisait, assure-t-il. On demandait la répudiation, on passait devant un juge et le juge accordait ou non la désunion des deux époux. Mon ex-femme la voulait aussi. C’était comme ça qu’on divorçait dans les années 70 au Maroc".

Contactée par notre rédaction, l’avocate spécialisée Catherine de Bouyalski apporte des précisions. "La répudiation est une procédure unilatérale: c’est la fin de l’union autorisée uniquement au mari et qui peut se faire sans avertissement ni accord de l’épouse, éclaire-t-elle. Ce n’est donc pas un divorce en tant que tel et c’est parce qu’il est unilatéral qu’il n’est pas reconnu en droit belge. A l’époque, il existait d’autres moyens pour rompre le lien matrimonial mais c’était plus long et plus complexe". La répudiation était donc parfois privilégiée parce que plus rapide, bien que discriminatoire envers les droits des femmes. "Quand c’est la voie classique que tout le monde adopte, en général on ne voit pas vraiment qu’il y a un problème, poursuit l’avocate spécialisée. Ce n’est que plus tard que les mentalités ont évolué".

Les féministes marocaines ont gagné une première bataille : la Moudawana est née en 2004

Au moment où Hakim a procédé à la répudiation de son épouse, le code du droit de la famille marocain n’avait pas encore été réformé. C’est le cas depuis 2004, notamment grâce au combat mené par les associations féministes marocaines. C’est ce qu’on appelle la Moudawana. Désormais, "l’âge minimum légal de mariage pour les filles passe de 15 à 18 ans, la famille est placée sous la responsabilité des deux époux, la polygamie devient quasiment impossible à pratiquer et la répudiation nécessite un contrôle judiciaire et ne dépend plus seulement des adouls (juges religieux)", détaille la chercheuse française Bérénice Murgue. 

Néanmoins, le débat se poursuit au Maroc entre traditionalistes et réformateurs. Les féministes marocaines continuent donc leur combat vers plus d’égalité entre les hommes et les femmes au Maroc. "En 1977, on est effectivement bien avant la première grande réforme du code de la famille marocain et avant l’évolution des moeurs, commente Maître de Bouyalski. Aujourd’hui, la répudiation existe toujours au Maroc, mais n’est presque plus utilisée. La Moudawana prévoit bien d’autres formes de dissolution du lien matrimonial".

Hakim a-t-il un espoir de toucher sa pension majorée?

Avec l’aide d’un avocat, Hakim a entamé une procédure afin de contester la décision du Service Fédéral des Pensions. Il avait vraisemblablement plusieurs options pour résoudre le problème, telle qu’obtenir une attestation de divorce judiciaire définitif au Maroc, via le consulat général du Royaume du Maroc, ce qu’il a fait. Hakim espère à présent que ces éléments versés au dossier lui seront favorables. 

"De mon point de vue, tenant compte de l’acte de divorce obtenu il y a peu au Maroc, je pense que nous devrions pouvoir aboutir dans la procédure, estime l’avocat d’Hakim, maître Delfosse. Le dossier fait l’objet d’une mesure d’instruction par l'auditorat, c’est une procédure habituelle. L’auditorat va vérifier les positions des uns et des autres au regard des pièces produites. C’est une question d’appréciation du caractère valable et probant des actes administratifs et judiciaires réalisés sur le territoire marocain".

Selon Hakim, l’audience, qui devait avoir lieu prochainement, a été reportée au mois de mai 2020. D’ici-là, lui et son épouse devront vivre avec les 1.200 euros qu’il affirme percevoir, après déduction de sa note fiscale. Avec le sentiment que les 49 années qu’il a passées à travailler, qui plus est avec une femme à charge durant 40 ans, sont déconsidérées.

À lire aussi

Sélectionné pour vous