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Pas de notes, pas de devoirs: voici la méthode Freinet appliquée dans plusieurs écoles primaires en Belgique

Depuis quelques années, les écoles aux pédagogies actives connaissent un succès grandissant. Ces méthodes alternatives font de plus en plus d'adeptes à travers le monde. Nous avons tenté de comprendre les principes fondamentaux de l'une d'entre elles: la pédagogie Freinet. Son succès est tel que certaines écoles traditionnelles en Belgique et ailleurs adoptent certaines de ses bases d'enseignement. Pourquoi séduit-elle autant?

La pédagogie Freinet est une méthode mise au point par l'instituteur français Célestin Freinet au début du 20ème siècle. Certaines écoles communales belges ont décidé d'utiliser cette forme d'apprentissage hors du commun. C'est le cas de Clair-Vivre à Bruxelles. Valérie Lega, la directrice de l'établissement nous décrit les bases de la méthode. "Nous plaçons l’enfant au cœur de ses propres démarches mentales. Il est acteur de ses apprentissages. On peut dire que la pédagogie Freinet est basée sur 7 idées clés: l'expression-communication-création, l'autonomie, la responsabilisation, la socialisation, la coopération et vie coopérative, l'apprentissage personnalisé, l'ouverture sur la vie", détaille Valérie Lega.

Cette pédagogie serait adaptée aux besoins fondamentaux des élèves et à leurs intérêts."Elle respecte l’identité de chacun. L’enfant est placé devant ses responsabilités, se prend en charge et réalise mieux ses projets. Il est acteur au même titre que les adultes", ajoute-t-elle.

Célestin Freinet

"Une école centrée sur l’enfant"

Dans cette méthode fondée sur l'expression libre des enfants, "le savoir et l’apprentissage doivent s’ancrer dans le vécu et la vie de l’enfant pour avoir un sens et pour être compris et retenu par lui". Si l’école traditionnelle est centrée sur la matière à enseigner ainsi que sur les programmes qui définissent, précisent et hiérarchisent cette matière, la pédagogie Freinet quant à elle, "bouleverse profondément la vision de l’école, en considérant une école centrée sur l’enfant", selon le site Wikiwand


Des parents méfiants

La directrice Valérie Lega est consciente que la méthode peut surprendre. Mais elle ne doute pas un seul instant de son efficacité. "Certains parents pensent que la pédagogie Freinet n’est pas structurée ou ne met pas de "cadre". Ils se trompent, il faut d’autant plus être structuré et cadrant pour mener l’enfant à se réaliser et lui donner les outils pour y parvenir", tient à préciser la directrice.

En effet, durant une grande partie de la journée, les enfants sont invités à choisir leurs activités et leurs sujets d’étude. "Les parents manifestent souvent une certaine appréhension: "comment peut-on laisser les enfants faire ce qu’ils veulent? En les laissant faire ce qu’ils ont envie, ils n’apprendront rien". Ce sont les critiques qui sont destinées à cette liberté qui est instaurée dans les pédagogies actives. Ces inquiétudes, quoi que compréhensibles, révèlent un certain pessimisme. Elles ne prennent pas compte de la nature même des enfants, qui sont en plein devenir et donc instinctivement curieux et intéressés", confie un ancien élève de la pédagogie sur le site du Siep.

Devenir un adulte responsable

Il faut savoir que l'objectif de la pédagogie Freinet n'est pas la performance de l'élève mais plutôt son épanouissement. Ce dernier apprend à avoir confiance en lui et à être en pleine possession de ses qualités. "Le but est de permettre à chaque enfant de devenir un adulte responsable, créatif, sensible et citoyen du monde (...) L’enfant a un contrat de travail et peut s’y atteler à son rythme et organiser son étude selon ses préférences", ajoute l'ancien élève.


"Le tâtonnement expérimental"

Pour Célestin Freinet, le tâtonnement expérimental est très important. Il est même à la base de tous les apprentissages. "Il faut favoriser la libre découverte des grandes lois du langage et de la grammaire, des mathématiques, des sciences. Pour cela, il faut inciter à beaucoup expérimenter, observer, comparer, imaginer des théories, vérifier". Il est persuadé qu'en étant passionnés, les enfants travaillent davantage et se souviennent durablement des découvertes qu'ils font contrairement à un apprentissage "mécanique", décrit l'Icem

Cette notion de "tâtonnement expérimental" est actuellement admise avec les jeunes enfants mais aussi avec les adolescents durant leurs études secondaires.

"Les enfants apprennent pour de vrai"

Daniel Gostain, un enseignant français, se base sur la pédagogie Freinet depuis une dizaine d'années pour "sa journée de classe type". Elle est rythmée par une succession de temps: "temps libre et calme", "j'apprends à lire", "je fais un projet", "nous apprenons", "je fais partager", etc. Le programme, affiché au tableau, est lu en début de classe par deux élèves qui demandent ensuite "Y-a-t-il des questions ou des réactions?". Ces rituels donnent un cadre aux interventions des élèves qui participent. Les enfants bougent à travers la classe à certains moments, mais la matinée s'écoule dans le plus grand calme.

Pour lui, cette pédagogie "crée les conditions pour que les enfants s'expriment, osent, cherchent, s'étonnent, se questionnent, alors qu'ils sont dans une structure qu'ils ne choisissent pas (...) Les enfants apprennent pour de vrai". Dans la classe de Daniel Gostain, il n'y a pas de rangées de tables mais une disposition des bureaux en arc de cercle, avec un passage au milieu pour que les enfants puissent circuler.

Puis vient le "temps de travail individuel". Chaque enfant prend son classeur, avec un programme de travail à accomplir sur deux semaines, selon l'ordre qu'il choisit. S'il cale, il accroche une étiquette à son nom sur le tableau pour le signaler au maître.

Image d'illustration Pas de devoir

Autre particularité dans la pédagogie Freinet, les notes et les devoirs n’existent tout simplement pas. " Il n’y a pas de devoir au sens stricte du terme mais les enfants doivent lire leur texte libre à la maison ou terminer une feuille qui n’aurait pas été finie. Les devoirs creusent les inégalités entre les enfants ayant une aide à la maison et ceux n’en ayant pas", nous explique encore la directrice de l'école communale belge. 

"Il est vrai que parfois le choc est grand lorsqu’ils arrivent en secondaire mais nos élèves acquièrent chez nous l’autonomie qui leur permet de gérer efficacement les devoirs et leçons du secondaire que je trouve totalement démesurés", estime-t-elle.


Image d'illustration

"J’ai vécu dans une parenthèse magique"

Lady Dylan a consacré un article à la pédagogie Freinet sur le site Madmoizelle. La jeune femme de 20 ans a testé la méthode entre ses 6 et 10 ans. Elle en garde un merveilleux souvenir. "L’école s’adapte à l’enfant plutôt que d’essayer de le faire rentrer dans un moule", confie-t-elle. "J’ai vécu dans une parenthèse magique (...) Il y avait le temps de travail personnel, pour lequel nous définissions en début de semaine un "contrat", discuté entre enfant, enseignant et parents, où nous nous fixions des objectifs selon nos capacités", se souvient Lady Dylan.

"J’ai été heureuse à l’école parce que j’y ai été libre, on m’a rarement obligée à faire des choses que je ne voulais pas, j’imagine que la plupart du temps on m’expliquait les raisons des contraintes; en tous cas je ne l’ai jamais (à mon souvenir) mal vécu (...)Pour une raison étrange, malgré le temps que nous passions à faire de la sculpture ou à élever des lapins, nous arrivions à avoir le même bagage scolaire que les autres enfants. J’ai une théorie pour ça: nous aimions apprendre", affirme l'ancienne élève.


Image d'illustration


"Il n’existe aucun école à 100% méthode Freinet"

Les pédagogies actives sont critiquées par leurs détracteurs. Pourtant, elles sont de plus en plus utilisées par des professeurs de l'enseignement dit "classique". "La méthode Freinet a peu à peu irrigué l'école classique, qui s'est inspirée des sorties scolaires, écritures de textes, rédaction d'un journal de classe et moments de paroles", explique Catherine Chabrun, rédactrice en chef du "Nouvel éducateur", la revue du mouvement. Mais, selon elle, ces "techniques" sont appliquées "sans les grands principes qui les articulent et leur donnent toute leur cohérence".

"Il n’existe aucun école à 100% méthode Freinet car cette pédagogie est un éternel questionnement de la part du corps enseignant. On tâtonne... comme les enfants. Personne ne peut se revendiquer de prêcher la bonne parole, la pédagogie Freinet rejette tout dogmatisme. L’important est de savoir où l’on se situe par rapport à elle et d’y tendre du mieux que l’on peut", nous confie la directrice Valérie Lega.

Elle nous explique que l'établissement communal qu'elle dirige a un public très mixte. Il ne s'agit pas toujours de personnes attirées par la méthode Freinet. Certains parents choisissent son école par proximité. "50 % des parents choisissent l’école pour sa pédagogie et 50% parce qu’ils habitent tout près. Ces derniers ne connaissent pas la pédagogie et sont parfois surpris par la manière dont nous travaillons, même si nous leur expliquons tout lors de l’inscription. Il faut parfois leur réexpliquer durant l'année car cette méthode est parfois bien loin de leur culture d’origine", reconnait-elle.

Le taux de réussite est-il différent de l'enseignement traditionnel?

L'ancien élève de la méthode Freinet qui s'est exprimé sur le site du Siep affirme que les enfants sortis de son école primaire avaient généralement de bons résultats en secondaire. Selon ses dires, ils n’ont pas eu de problèmes à entamer des études supérieures ou universitaires. Il ajoute même qu'ils sont souvent "débrouillards et curieux". Mais qu'en est-il vraiment? Cette pédagogie est-elle aussi efficace que l'enseignement dit "classique"?

Il y a 4 ans, le site 7sur7 a révélé les résultats d'une étude réalisée par l'université catholique de Louvain sur la pédagogie active. L'analyse a été menée sur 6.000 élèves de 190 écoles primaires. Voici les conclusions des chercheurs: "Si les aptitudes des enfants nourris de la pédagogie active s'emballent durant leurs premières années d'école, celles des élèves issus de l'enseignement traditionnel les devanceraient lors des années ultérieures. C'est en mathématiques, lecture et orthographe notamment que l'écart se creuse à l'avantage de l'enseignement traditionnel. Au niveau du CEB par contre, le taux de réussite serait identique à l'issue d'une scolarité quelle que soit la méthode choisie", peut-on lire sur le site belge. Les résultats de ces deux méthodes très différentes seraient donc semblables.

Cependant l'étude se montre plus réticente quant à "ce fameux enthousiasme, cette joie et volonté d'apprendre qui font la fierté des méthodes actives (...) Non que la pédagogie active endorme les petits écoliers, mais celle-ci ne réveillerait finalement en eux pas plus d'enthousiasme que les méthodes prônées dans l'enseignement traditionnel".

Une chose est cependant incontestable, la pédagogie Freinet séduit de plus en plus de parents. Au fil des décennies, elle a fait des petits à l'étranger, avec une cinquantaine de mouvements, dont le dernier-né a vu le jour en Grèce.

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