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Philip, invalide, a tout plaqué pour vivre à l’île Maurice: "J’attaque ma mutuelle qui a arrêté de me payer"

C’est l’histoire d’un malentendu, d’une incompréhension lourde de conséquences. Philip pensait pouvoir vivre jusqu’à sa retraite à l’île Maurice en continuant à toucher une indemnité d’invalidité. Il a donc vendu ses biens en Belgique et a emmené toute sa famille vivre là-bas. Mais après quelques années, sa mutuelle lui coupe les vivres: il ne pouvait y rester que temporairement. Résultat, Philip se retrouve sans ressource à l’autre bout du monde, dans l’incapacité de travailler. Il attaque aujourd’hui sa mutuelle en justice pour faire valoir son point de vue: s’il avait été mis au courant du caractère temporaire de l’indemnité, il ne serait jamais parti.

"Je suis en conflit avec ma mutualité. Etant invalide à plus de 66%, j'ai obtenu l'autorisation de pouvoir me rendre à Maurice avec toute ma famille. Et voici qu’après plusieurs années, le médecin de la mutuelle me dit que cela n’était que pour une période limitée, ce qui ne m'a jamais été dit. Faute de quoi je ne serais pas parti !" C’est en ces termes que Philip van den Berck a décrit son désarroi à la rédaction de RTLinfo.be via notre page Alertez-nous.

La mutuelle l'oblige à arrêter le travail

Tout commence en 2010. L’homme, âgé alors de 55 ans, était mécanicien au Brussels International Trade Mart. Déjà diabétique depuis ses 21 ans, il apprend qu’il souffre d’une autre maladie. "Après être tombé malade, le médecin conseil de ma mutualité s’aperçoit que j’ai une forte scoliose (une déviation sinueuse de la colonne vertébrale, ndlr). Il me dit que je ne dois plus travailler et me met en invalidité". Philip est alors reconnu invalide à plus de 66% par les Mutualités chrétiennes et touche désormais une indemnité.

Moins mal à Maurice: il s'y installe

Marié à une Mauricienne avec qui il a deux filles, il se rend compte à l’occasion d’une visite dans la famille de sa compagne que ses douleurs au dos sont moins présentes sur cette petite île de l’Océan indien. "C’est probablement dû au climat", estime-t-il. De retour en Belgique, il contacte sa mutualité. "Le médecin m’a dit qu’y aller ne pouvait que m’être bénéfique, de plus les soins hospitaliers et médicaux y sont totalement gratuits dans les organismes d’Etat. Le médecin conseil a donc marqué son accord pour que je vienne vivre ici à Maurice." Rien ne retenant Philip en Belgique, il vend sa propriété et s’envole pour le pays natal de son épouse. C’est d’ailleurs la nationalité de celle-ci et la double dont disposent ses enfants qui lui permettent d’y résider demande d’autorisation spécifique auprès des autorités mauriciennes. Par ailleurs, la législation belge permet, sous certaines conditions, qu'une personne en invalidité puisse bénéficier d’une indemnité venant de Belgique même si elle habite à l’étranger. 

"Obligé d'avoir une fausse adresse" en Belgique

Sa mutuelle lui explique cependant que pour pouvoir conserver ses indemnités d’invalidité, il doit rester domicilié en Belgique. "On m’a obligé à avoir deux adresses", estime-t-il. "J’ai donc fait une fausse adresse chez ma sœur où je suis domicilié." En raison de ce statut, être domicilié ici mais résider là-bas, la mutuelle l’oblige en outre à réintroduire tous les 6 mois auprès du médecin conseil une demande de permission de résidence à Maurice.

Fin des indemnités 3 ans plus tard

Et le système fonctionne. Philip touche ses indemnités sur un compte en Belgique et se transfère l’argent. Durant 3 années, il vit sans souci et le médecin conseil renouvelle sa permission de résidence 5 fois. Mais en septembre dernier, le couperet tombe: il reçoit une lettre de celui-ci intitulée "Votre incapacité de travail". Elle dit: "Après étude de votre dossier médical, je ne peux vous donner mon accord, dans la mesure où le caractère "temporaire" de votre séjour n’est plus démontré." En effet, "l’Ile Maurice est un Etat indépendant sur le territoire duquel aucune disposition supranationale autorisant l’exportation des prestations n’est applicable, à savoir ni convention bilatérale de sécurité sociale conclue" avec la Belgique ou l’Union européenne. Conclusion: "Le paiement de vos indemnités est suspendu." Philip est d’autant plus dégoûté qu’il apprend alors que s’il avait déménagé sur l’île voisine, la Réunion, il aurait conservé ses indemnités jusqu’au bout puisqu’il s’agit d’un territoire français.

Besoin d’aucun accord dans beaucoup de pays, mais pas à Maurice

En effet, si "un bénéficiaire d’indemnités belges" déménage ou s’installe temporairement dans un des 28 Etats membres de l’Union européenne, mais également en Islande, au Liechtenstein, en Norvège ou en Suisse, il peut continuer à percevoir lesdites indemnités lorsqu’il séjourne/réside dans un de ces pays, et ce, sans que le médecin-conseil de la mutualité ait à donner son accord. Il existe en outre 18 pays (voir encadré) avec lesquels la Belgique a conclu des accords bilatéraux sur la question. Souvent, mais pas systématiquement, un invalide peut y transférer sa résidence principale et conserver ses indemnités sans l’accord du médecin-conseil. Concernant la situation de Philip, si un membre en invalidité souhaite continuer à percevoir ses indemnités et séjourner temporairement dans un pays "comme la Chine, la Russie, Monaco ou l’Île Maurice", qui ne font pas partie de ceux cités ci-dessus, "il devra obtenir l’autorisation préalable du médecin-conseil de la mutualité avant de se rendre dans le pays étranger." Mais s’il y transfère sa résidence, "le paiement de ses indemnités sera immédiatement suspendu."

Certains critères ont posé problème à Philip

Ce qui est arrivé à Philip, c’est que le séjour temporaire a été considéré comme tel jusqu’à un certain point. En effet, pour se voir octroyer une autorisation par le médecin conseil, il faut satisfaire à certains critères, comme la durée et la continuité de la présence sur le territoire concerné, la situation familiale et les membres de la famille, ou encore la situation en matière de logement, notamment le caractère permanent de celui-ci.

Trompé par sa mutuelle: "Si j'avais su, je ne serais jamais parti"

La lettre reçue par Philip stipule qu’il peut introduire un recours auprès du tribunal du travail le plus proche de son domicile (donc de chez sa sœur), et lui conseille, s’il le fait, de s’inscrire au chômage pour cas de force majeure afin de maintenir ses droits en matière de sécurité sociale. Philip estime avoir été berné par sa mutuelle. Il engage donc un avocat en Belgique qui introduit le recours. "Jamais il ne m’a été dit que me rendre à l’île Maurice avait une durée maximale." Il tient le médecin conseil pour responsable: "Avant de donner son accord, il lui fallait prendre tous les renseignements auprès des institutions dont il dépend. (…) Si j’avais su dès le départ que je perdrais mes droits après un certain temps, je ne serais pas parti et je n’aurais pas vendu mes biens en Belgique."

Des frais d'avocat pour rien: il n'a plus de réserve financière

L’affaire passe rapidement devant le tribunal du travail de Bruxelles… qui se déclaré incompétent. Il redirige Philip vers le tribunal de première instance de Bruxelles. Le hic, c’est que l’homme, après plusieurs mois sans revenu, n’a plus de quoi se payer un avocat. Depuis septembre, ils vivent uniquement des revenus d’une location à Maurice, un bien acheté avec l’argent de la vente de sa propriété en Belgique. "Elle nous permet juste de survivre en payant la scolarité des enfants, qui est loin d’être gratuite ici."

Le Roi, Onkelinx et enfin Courard se penchent sur son cas, en vain

Désemparé, ne sachant pas comment continuer à faire vivre sa famille, Philip a tenté de trouver de l’aide auprès du Roi Philippe... pas tout à fait en vain. Sa lettre a été transmise par le Palais Royal à la ministre des Affaires sociales et de la Santé publique Laurette Onkelinx. Celle-ci n’étant pas compétente, elle a fait parvenir le courrier au Secrétaire d’Etat aux Personnes handicapées chargé des Risques professionnels, Philippe Courard. Il a "chargé son administration de procéder, dans les meilleurs délais, à l’examen de" la requête de Philip. Mais sa réponse n’a pas apporté de solution: l’administration ne pouvant intervenir avant que la procédure en justice ne soit terminée.

Aucun avocat pro deo ne daigne lui répondre: il doit rentrer en Belgique

Philip doit désormais trouver un avocat pro deo qui accepte de le défendre. Mais "j’ai beau m’adresser à gauche et à droite, et Dieu sait que j’en ai envoyé des e-mails, je n’obtiens aucune réponse", regrette-t-il. La fixation d’une date auprès du tribunal de première instance étant conditionnée par le fait de trouver un conseil, Philip ne peut qu’attendre une réponse. Et l'urgence se fait sentir. Ce 13 mai, ne parvenant plus à s'en sortir financièrement, Philip a mis sa maison en vente. "Une fois cela réalisé, je me verrais contraint de rentrer en Belgique", regrette-t-il. Une solution qui lui permettra de récupérer sa pension d'invalide, mais qui malheureusement déracinera ses enfants une fois de plus et qui serait préjudiciable à sa santé. Le temps presse: à l'heure d'écrire ces lignes, seule l'intervention d'un avocat pro deo avant la vente de la maison pourrait permettre à Philip et sa famille de rester à Maurice.

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