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Pour Nathalie, maman d'un mineur qui a fait de grosses bêtises, c'est la double peine: "Je crains de perdre ma maison"

Enseignante dans la région de Wavre, Nathalie n'est pas une maman comme les autres. Depuis qu'il est tout petit, son troisième enfant a d'importants troubles du comportement, qui l'ont lentement amené vers la petite, puis la grande délinquance. Aujourd'hui, c'est l'heure des comptes: notre témoin craint que les assurances lui réclament de très lourdes indemnités. Un avocat la rassure (en partie).

L'histoire que nous a confié Nathalie est bouleversante à plus d'un titre. Cette maman vit deux drames: elle a vu (et voit encore) l'un de ces trois enfants sombrer dans la délinquance ; et elle craint de devoir assumer des sommes colossales causées par les méfaits de ce mineur d'âge, qui a récemment brûlé une maison et braqué une pharmacie.

Au-delà du témoignage poignant de cette maman en détresse, il y a une question très 'pratique' qui se pose: jusqu'où va la responsabilité des parents ayant un enfant mineur délinquant ? Car si elle a contacté la rédaction de RTL info via le bouton orange Alertez-nous, c'est aussi pour "évoquer la responsabilité des parents: on parle des délinquants, mais ce qui a derrière, on n'en parle pas. Sans doute parce que certains parents sont insolvables, donc on ne sait rien leur prendre. Mais dans les autres cas, on peut tout leur prendre"…

"Jusqu'à 1 an et demi, ça se passait bien"

A 53 ans, Nathalie est une enseignante de la région de Wavre. Il y a 17 ans, elle a donné naissance à Tom (prénom d'emprunt), son troisième enfant (ses grands frères ont actuellement 24 et 33 ans). Et très rapidement, de grosses difficultés de comportement sont apparues.

Je ne savais plus rien faire: aller travailler, faire mes courses, c'était fini…

"Jusqu'à 1 an et demi, ça se passait bien. Et puis, c'est devenu très compliqué. Il faisait d'énormes crises. Il arrachait les tentures, il courrait partout, il se débattait à terre… C'était terrible, incontrôlable. Rien de ce qui fonctionnait avec un enfant classique, traditionnel, ne fonctionnait avec lui. Je ne savais plus rien faire: aller travailler, faire mes courses, c'était fini. Je devais tout le temps avoir de l'aide à la maison pour m'en occuper".

Dans une 'pouponnière' à 3 ans

La situation devient ingérable, et Nathalie n'a pas beaucoup d'options."Je suis allée voir une pédopsychiatre, elle a vu la dangerosité de la situation et elle m'a dirigé vers une pouponnière (officiellement un 'Service d'Accueil Spécialisé de la Petite Enfance', un lieu de transition où les enfants sont placés quand la famille n'est plus en mesure de s'en occuper). A l'âge de 3 ans, il est parti là-bas. Et c'est déjà quelque chose de dramatique, parce qu'en Belgique, une pouponnière, c'est pour des enfants qui sont, pour la plupart, abandonnés ou rejetés, sans parents. Mais pas des enfants qui ont des problèmes. Hélas, la clé, c'est qu'on ne pose pas de diagnostic sur un enfant de moins de 18 ans. Je n'ai jamais eu de diagnostic, si ce n'est 'trouble du comportement'. Du coup, vous retrouvez toujours votre enfant avec un public qui n'est pas adapté, et j'étais face à des professionnels que je dérangeais car je voulais m'impliquer".

J'ai tout essayé, j'ai dépensé un argent bête en thérapie, hippothérapie, art thérapie

Tom n'était donc pas à la bonne place, mais Nathalie n'a pas trouvé d'autres solutions. Les tentatives de scolarisation sont des échecs. "La première maternelle est un fiasco, on nous dit qu'il ne rentre pas dans le moule, que ça n'ira pas". Elle a fait, et fait encore, ce constat amer: "II n'y a pas de place pour les enfants comme lui dans la société".

A treize ans et demi, Tom "monte en grade"

Les années passent et la situation n'évolue pas favorablement. "Partout où il allait (écoles, institutions, centres), il se faisait renvoyer". 15 fois en 15 ans. "J'ai tout essayé, j'ai dépensé un argent bête en thérapie, hippothérapie, art thérapie… Tout ce qu'on m'a dit de faire, je l'ai fait, et même au-delà. Ça n'a pas fonctionné".

Tom, lui, grandit, tout comme ses démons. Nathalie décrit son fils comme étant, à cette période et donc actuellement, "manipulateur et dans la toute puissance: il n'obéit à aucune règle, aucune autorité. Il a une personnalité qui ne s'intègre pas dans la société".

Il commençait avec des couteaux, il menaçait des éducateurs

Les conséquences ne se font pas attendre. "Je sentais que, dans les bêtises de Tom, c'était de plus en plus grave. J'ai tiré plusieurs sonnettes d'alarme auprès du Service de Protection de la Jeunesse (SPJ). A 13 ans et demi, il est monté en grade, je dirais. Il commençait avec des couteaux, il menaçait des éducateurs". Adolescent, "il a fait quelques séjours en IPPJ (Institutions Publiques de Protection de la Jeunesse), en section ouverte".

Une autonomie qui tourne au drame: il incendie l'immeuble de son kot

Récemment, "il était dans une institution, où il était invivable, ingérable… mais il n'avait pas commis de délit permettant à la juge de le remettre en IPPJ". Il y a alors des discussions, "avec la juge de la jeunesse, et comme Tom revendiquait depuis longtemps, déjà, d'être en autonomie (il prétendait que ça allait tout arranger), ils sont partis sur cette piste là car il avait 17 ans. Avec une éducatrice, on a trouvé un kot pour lui. Il devait y avoir un suivi de la part d'éducateurs, mais comme j'étais là aussi - je m'occupais de mon fils, je l'aidais à faire ses courses, etc – ils ont arrêté de venir".

Sans surveillance, "il a commencé à trouver de l'argent facile: acheter, vendre et consommer de la drogue. Et puis en juin dernier, j'ai appris que la maison dans laquelle il habitait avait brûlé. Et que c'était un incendie criminel, dont il était à l'origine. La maison était ravagée, il n'y avait plus de maison. Il ne sait même pas exprimer pourquoi il a fait ça".

Il reste en centre ouvert et braque une pharmacie

Suite à cet incendie, Tom "est allé en centre ouvert dans une IPPJ. Le mois suivant, il avait déjà fugué quatre fois. On m'a dit que c'était un centre ouvert, que s'il voulait partir, il avait le droit. J'ai dit à la juge qu'il avait fugué, et qu'il allait recommencer, faire pire, que sa place était en centre fermé, mais ça n'a pas changé". Et Nathalie avait raison. "Un jour il a fugué à 14h, et à 18h il braquait une pharmacie. Il l'a fait tout seul, il est sorti en marchant. Mon fils n'a peur de rien. C'est quand même terrible". La justice durcit le ton. "Alors là, enfin, on l'a mis dans le centre fermé d'une IPPJ". Même s'il s'agit de son fils, Nathalie estime que cette justice de la jeunesse reste trop laxiste, qu'il y est "trop bien par rapport aux actes qu'il a commis". Notre témoin ne mâche pas ses mots: "mon fils est psychopathe, il n'a aucune empathie. Il devrait y avoir un diagnostic clair, avec un traitement et un suivi clair. Pour qu'une personnalité change, il faut qu'elle soit dans une situation inconfortable. Or mon fils, je le connais. En centre fermé à l'IPPJ, ils ont des activités, ils sont logés, nourris et blanchis, ils n'ont aucune responsabilité. Et je l'ai vu lors de la dernière audience au tribunal, je peux vous assurer qu'actuellement, il n'est pas dans une situation inconfortable, absolument pas". Elle craint donc que "s'il retourne en centre ouvert, il fasse encore pire".

Où s'arrête la responsabilité des parents ? "Je crains de perdre ma maison"

Ce drame familial empoisonne une partie de la vie de Nathalie, dont les seules lueurs sont… ses aînés. "J'ai deux autres enfants, plus grands. Ils m'ont sauvé la vie: ils ont étudié et travaillent, ils ont une vie parfaitement normale". A côté de cette situation très difficile, notre témoin s'attend à faire face à d'énormes frais liés aux bêtises de son fils.

Nathalie avait déjà une assurance familiale, "et après l'incendie, j'en ai pris une autre, plus importante, pour être couverte s'il recommençait. Et il a recommencé. Mais les deux assurances ne veulent pas m'aider. Je n'ai même pas droit à une aide juridique, ni à que ce soit d'autre. Elles n'interviennent pas parce que c'est un fait volontaire, parce que les infractions sont intentionnelles. On m'a dit que s'il avait moins de 16 ans, l'assurance intervenait, et que s'il en avait 18, il était responsable". Entre les deux, précisément l'âge durant lequel Tom a commis ses deux plus grosses bêtises, il y a une zone grise.

Ma vie est foutue, détruite

Cette mère de famille estime qu'elle "devrait avoir droit à une défense en justice couverte par l'assurance, pour que la faute se retourne sur lui, car il a 18 ans dans quelques mois, et il n'est pas débile mental". Une défense "pour ne pas qu'à 53 ans, je me retrouve à la rue". Car dans les prochaines semaines, des décisions de justice vont tomber, et les parents de Tom sont considérés comme civilement responsables. "Je crains de perdre ma maison, de me retrouver à la rue, car la maison (incendiée par Tom) a brûlé sur les trois étages ; il y a le braquage, les dommages moraux pour la pharmacie". Selon Nathalie, on risque de lui réclamer "des centaines de milliers d'euros… ma vie est foutue, ma vie est détruite. Je ne dors plus, j'en suis malade". Elle "se pose la question de la responsabilité des parents" dans le cas de Tom, "dans la mesure où je n'ai fait qu'appeler à l'aide depuis sa petite enfance, où j'ai alerté le SPJ et les IPPJ".

Nathalie est-elle vraiment responsable ?

Techniquement, oui, les parents de Tom ont été reconnus responsables civilement des actes de leur fils mineur de 17 ans. "Très, très, souvent, le juge va considérer que l'attitude du jeune, son parcours judiciaire, le type de faits commis, montrent bien qu'il y a eu un défaut d'éducation", confirme Amaury de Terwangne, avocat au barreau de Bruxelles ayant une longue expérience dans le droit de la jeunesse. "Et que sur cette base-là, le parent va, au côté du jeune, devoir intervenir financièrement pour dédommager" la victime ou l'assurance de la victime. Dans le cas de Tom, la justice estime que c'est la séparation des parents qui serait à l'origine de ses problèmes, ce que Nathalie réfute formellement.

Devront-ils vraiment payer ? Rien n'est moins sûr, mais ça se complique. "Des parents paient de bonne foi une assurance familiale depuis des années, et tout d'un coup, leur rejeton fait une bêtise, par exemple en participant à un vol de voiture. Ces parents se retournent vers leur assurance, qui leur dit: 'Désolé, c'est un fait volontaire, le jeune était en âge de savoir qu'était un fait volontaire, il avait plus de 16 ans, donc on n'intervient pas'. C'est quelque chose que nous voyons assez souvent", nous a expliqué l'avocat spécialisé.

Les parents restent couverts par l'assurance

"Mais cette réponse est très partiellement exacte", précise-t-il tout de suite. "L'assurance a le droit de dire 'On n'intervient pas pour couvrir le jeune, car on ne peut pas s'assurer soi-même contre des faits volontaires' ; logique, sinon tout le monde aurait le plaisir d'aller faire une bêtise en se disant: 'Pas grave, je suis assuré'. Donc ça n'est pas possible (de couvrir directement les bêtises de Tom). Mais les parents ne sont pas attaqués sur base de leur responsabilité personnelle, car ce n'est pas eux qui ont commis le méfait. Ils sont attaqués sur une autre base juridique, c'est l'article 1384 du Code Civil, qui dit que les parents sont tenus des dégâts occasionnés par leur enfant". Et toute l'astuce est là: en tant que parents devant faire face à un problème qui n'est pas de leur responsabilité directe, "ils restent couverts par l'assurance" si on leur réclame de l'argent pour la bêtise commise par leur enfant.

"On ne peut pas exclure quelqu'un d'un contrat pour quelque chose qui a été commis par quelqu'un d'autre"

Donc si Nathalie est inquiétée "par un courrier de son assurance disant qu'elle ne peut pas intervenir car il s'agit d'un fait volontaire", il ne faut pas se laisser faire et "aller plus loin, ne pas hésiter à dire qu'on parle de deux choses différentes, (et que Nathalie), en tant que parent, doit être couverte".

On répète pour être sûr que tout le monde ait compris. "Soit par elle-même, soit avec l'aide d'un avocat, elle doit faire valoir son droit d'être assurée. Car il est vrai que son fils (une assurance familiale couvre normalement tous les membres du foyer) ne sera pas assuré parce qu'il a commis un fait volontaire ; mais elle, en tant que parent, demeure assurée par la compagnie d'assurance où elle a souscrit son contrat". On parle ici "d'un contrat d'assurance familiale, assez classique, que les gens paient souvent pendant des années. Et ça vaut pour tous les contrats de ce type, car le fait que cette dame reste couverte, c'est quelque chose qui est prévu au niveau européen: on ne peut pas exclure quelqu'un d'un contrat pour quelque chose qui a été commis par quelqu'un d'autre".  

L'assureur peut exercer un recours de maximum 31.000 euros contre le mineur, à ses 18 ans

En revanche, il est tout à fait possible qu'il y ait un plafond dans ce contrat, une somme maximale par sinistre que peut donner l'assurance. "A ce moment-là, l'assurance ne sera pas tenue pour plus que ce qui est prévu dans le contrat. Si le contrat couvre 250.000 euros pour un sinistre, mais que les montants des dégâts sont d'un million d'euros, l'assurance ne donnera que 250.000 euros". Tom et ses parents devraient théoriquement couvrir le reste, soit 750.000 euros…

Dernier détail, d'Assuralia, la fédération des assureurs en Belgique: "Si ce mineur d’âge a plus de 16 ans au moment de commettre cette faute exclue dans la garantie, l’assureur peut exercer un recours (de maximum 31.000 euros) contre l’auteur des faits, au moment où il atteint sa majorité (18 ans)".

Nathalie est un peu perdue actuellement: "Il est difficile de joindre par téléphone la justice ou les assureurs, pour bien comprendre ce qui va m'arriver". Elle craint de devoir indemniser les assurances des victimes. Si on le lui demande, elle devra donc faire valoir ses droits.

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