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Viviane ne veut plus recevoir des messages de la part de son employeur en dehors du travail: a-t-elle droit à la déconnexion?

Viviane a poussé un coup de gueule auprès de sa hiérarchie. Employée dans une entreprise privée, elle a demandé le droit à la déconnexion. Elle ne veut plus recevoir ou devoir répondre à des messages en dehors de ses heures de boulot, qu'ils soient envoyés par ses collègues ou par son employeur. Mais quels sont ses droits ?

Employée dans une société privée depuis 30 ans, Viviane a vu son métier évoluer au niveau de la communication. Le dernier changement en date, la création de groupes Whatsapp, n’est pas du tout de son goût.

Recevant par moments de nombreux messages, elle exige à présent le droit à la déconnexion, soit la possibilité de ne plus être contactée ou de devoir répondre aux appels, messages ou mails envoyés par son boulot en dehors des heures de boulot. Une coupure nécessaire pour elle, aussi bien avec son employeur qu’avec ses collègues.

Depuis le 1er février 2022, les fonctionnaires (à peu près 65.000 personnes) y ont droit. Dans le secteur privé, il n’y a en revanche pas de législation par rapport au droit à la déconnexion. 

Viviane nous raconte comment elle en est venue à en avoir assez d’être contactée avant et après son travail.

"Avec l'arrivée d'internet, ils ont commencé à nous envoyer des mails, qui sont devenus de plus en plus fréquents. C’était déjà un peu embêtant et je l’ai signalé", confie-t-elle. "Ensuite, ils ont créé des groupes Whatsapp. Je crois que ça leur facilitait la tâche de communiquer une info directement à tout le monde. Ils nous incluaient dans le groupe sans nous demander notre avis. Ils ont fait 3-4 groupes différents pour divers types d’infos, toujours sans nous demander notre avis."

Cela faisait ding ding tout le temps

Ses groupes Whatsapp existent depuis 6 mois, et la fréquence des messages a fortement augmenté selon Viviane.

"Cela s’est amplifié. Cela faisait ding ding tout le temps. J’avais déjà signalé le problème auprès de ma hiérarchie. J’ai mis le groupe en sourdine. Cela semble facile, mais une fois qu’on a d’autres messages privés de la part d’autres amis, il y a le groupe qui est visible, on voit que des messages ont été envoyés", indique-t-elle.

Fin mars, elle dit avoir pris une décision forte en quittant tous les groupes Whatsapp.

"Mais deux semaines plus tard, on m’a encore réajoutée, ce qui ne m’a pas plu du tout. J’ai fait valoir mes droits début avril auprès de ma hiérarchie. Ils m’ont dit qu’ils m’avaient bien entendue et écoutée. Je me suis retirée de tous les groupes et j’espère que ça va aller dans le bon sens. Maintenant apparemment, je recevrai des infos dans une farde quand j’arriverai sur mon lieu de travail. Je veux être payée pour lire ces infos."

Viviane aimerait savoir où se situe la barrière entre la vie privée et la vie professionnelle. Pouvait-elle risquer d’être sanctionnée ? Comment cette communication est gérée dans d'autres entreprises? 

Chez AG Insurance, l'entreprise a pris en compte et communiqué cette possibilité de se déconnecter du travail via la création de leur propre réseau social avec l'option de désactiver à tout moment les notifications.

Gwenaelle Rogghe, responsable aux ressources humaines, nous explique ce qui a été mis en place depuis maintenant deux ans. "Au sein d’AG, on a une culture assez ouverte. On n'interdit pas la création de groupes Whatsapp concernant le boulot mais on a un moyen de communication officiel qui est un réseau social d’entreprise. On peut désactiver les notifications en dehors des heures de bureaux. Le gros avantage est que ça ne se mêle pas aux conversations Whatsapp privées. Cela laisse aux collaborateurs la possibilité de faire une distinction entre sa vie privée et sa vie professionnelle."


Un réseau social qui a fait ses preuves durant la crise covid. "On l’a lancé en janvier 2020 et on a pu voir l’importance d’avoir ce réseau social à partir du moment où il a fallu communiquer beaucoup et garder le contact avec nos collaborateurs. Cela laisse le choix au collaborateur s’il ne veut pas être pollué par des messages professionnels."

Gwenaelle Rogghe souligne que ce dispositif n'a pas été mis en place suite à des plaintes des employés. "C’était une décision stratégique. On n’a pas vraiment eu de plaintes à ce niveau-là", indique-t-elle. "On reçoit tellement de messages de plusieurs applications, qu’on pense qu’il était important d’ajouter un groupe privé uniquement pour le travail. Toutes nos communications officielles passent par ce réseau d’entreprise. Si des groupes privés sont créés, c’est la responsabilité de chacun."

Et de conclure: "Nous encourageons les collaborateurs à prendre l'initiative de bloquer des moments dans leur agenda où ils peuvent se déconnecter."

Quels sont les droits des travailleurs et des employeurs?

Avec les nombreux moyens de communication, est-il difficile de définir la limite dans le cadre du travail ? Est-ce compliqué au niveau juridique de définir ce qui est permis et ce qui ne l’est pas ? Nous avons posé ces questions à Vincent Chiavetta, avocat au barreau de Bruxelles et spécialiste en droit du travail.

"C’est assez difficile de définir ce qu’il est permis de faire et de ne pas faire entre l’employeur et le travailleur. Bien que la loi 71 (modifiée en 1997) soit assez claire. L’employeur ne peut pas faire travailler ou laisser travailler le travailleur en dehors des heures contractuelles. Cette loi est assez forte. L’employeur techniquement s’il est informé qu’il y a une culture d’entreprise qui permet des échanges permanents de messages entre la direction et les travailleurs, il ne pourrait techniquement pas laisser faire cela dans son entreprise."

En pratique, il est difficile d'interdire ces communications en dehors des heures du travail. 

"On parle de relations humaines, de culture d’entreprise. Ce n’est pas évident pour un travailleur de s’exclure spontanément des réseaux de communication qui se développe aussi peut-être spontanément dans l’entreprise", indique l'avocat. "Il n’est pas interdit pour l’employeur de mettre en place des réseaux de communication. Cela fait partie du travail. Le tout est de savoir s’il peut être sanctionné si on estime qu’il ne répond pas en dehors des heures de travail. Ce n’est pas facile à vérifier avec les outils de travail qui existent."

Si le travailleur estime que les outils de communication utilisés le dérangent de manière exagérée quand il n'est plus au boulot, il a la possibilité d'invoquer les lois relatives à la vie privée.

"Il ne peut pas y avoir d’ingérence démesurées de l’employeur dans le cadre de la vie privée. On ne peut pas obliger un travailleur à installer une application et à l’utiliser en dehors des heures de travail. Cela ne me paraît pas justifiable. Les recours juridiques auprès du tribunal du travail sont possibles." 

Comme rappelé plus haut, les fonctionnaires ont à présent droit à la déconnexion. Qu'est-ce que ça change concrètement ? 

"On ne peut plus sanctionner un travailleur qui n’aurait pas répondu à une sollicitation par mail ou par application, en dehors des heures de travail. Sauf si on est dans des exceptions comme avec des services de garde ou d’urgence. C’est assez précurseur car ça n’existe pas encore dans le secteur privé. Bien qu’un projet de directives européennes existe sur le sujet et prévoit à peu près les mêmes dispositions", conclut-il.

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