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Édito: vous savez, la guerre, c'est mal*

La Formule 1 est en train de s'offrir un joli citytrip à Djeddah, en Arabie Saoudite. Un voyage annuel garanti jusqu'en 2030. Entre les séances, quelques autographes, une série de selfies et un bon missile pour couronner le tout. C'est beau, le tourisme, surtout quand il est bien encadré.

Franchement, l'agence qui a organisé le voyage scolaire de la classe 2022 de la F1 en Arabie Saoudite mérite tous les honneurs. Le niveau d'immersion dans un pays en guerre a quand même atteint des sommets, je n'en crois pas mes yeux. Entre deux tours, les pilotes ont même droit à une démonstration de tir d'un missile venu s'écraser gentiment sur une usine pétrolière à 10km du circuit. C'est dingue, parce que depuis l'arrivée sur place l'an dernier, on nous clame haut et fort qu'il n'y a pas de guerre et que tout va bien. Comprenez donc mon étonnement.

C'était tellement inattendu que même Max Verstappen a cru que c'était sa voiture qui avait pris feu. Les autres se sont rapidement aperçus que, quand même, un bon panache de fumée noire au-dessus des tribunes, c'était rarement bon signe. Les voilà sortis de leur voiture. Devant eux, des organisateurs confiants. "Cela arrive fréquemment ici". Ah yes, parfait, un petit festival pyrotechnique pour offrir un spectacle complémentaire sur un circuit déjà dangereux en soi. Je vous l'avais dit, niveau immersion, on fait difficilement mieux que Djeddah cette année. 

Viens la confirmation et même la revendication: des rebelles yéménites ont volontairement bombardé le site. Bombardé le site. A priori, à la lecture de ces mots, n'importe quel décideur sain d'esprit remballerait ses valises sans prendre soin de plier ses vêtements pour se barrer dans une zone paisible. Mais ce serait sans compter sur la F1. La même discipline qui a fièrement fait poser ses pilotes avec un panneau "No War" pour dénoncer ce qu'il se passe en Ukraine. Un geste symbolique valable, important, qui aurait pris une force considérable si les 650 millions de dollars offerts sur 10 ans par les organisateurs du GP d'Arabie Saoudite ne faisaient pas office de menottes.

Petite réunion avant la deuxième séance d'essais libres. 10 minutes. Il aura fallu 10 minutes pour que la course soit maintenue. Ce serait quand même dommage de se priver d'un bon GP à cause d'un simple missile, enfin. Un missile, franchement, ça va. C'est pas comme s'il pleuvait, je veux dire, le danger est tout relatif. Les pilotes, eux, se sont retrouvés après 90 minutes passées en piste. 90 minutes à devoir chercher la limite à 300 km/h en se demandant si un autre missile n'allait pas vous survoler. Parce que, quand même, ça paraissait étrange de courir sous la menace dans un pays en guerre. Qu'on a sciemment décidé de rallier pour faire la course, avec la banderole "No War" dans l'avion.

4h30 plus tard, tout scepticisme était éteint. Les autorités se disaient prêtes à bloquer les pilotes, à freiner leur départ d'Arabie Saoudite s'ils venaient à annuler l'épreuve. Tant qu'à faire dans la folie, autant y aller jusqu'au bout. Alors oui, faites la course. Honorez votre deal pour 2022. Ce qui, en soi, est déjà une honte internationale. Je suis content de voir que les pilotes ont leur mot à dire sur leur propre sécurité, que la F1 a la force suffisante pour ne pas craquer sous le poids de la pression économique aussi. Comme vous, qui pensiez que rouler en Arabie Saoudite était une brillante idée, j'ai prouvé que je savais être dans le déni.

N'osez plus jamais condamner la guerre sans mentionner les conditions préalables: c'est mal, mais si ça nous rapporte un max, alors ça passe. Avec ce cash, donnez au moins un pourboire à l'agence de voyage, que ça ne serve pas à rien. 

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