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Un sprinteur cabré sur son vélo fend la ligne d'arrivée, dans le flou d'arrière-plan, au-dessus des casques, deux bras se lèvent pour célébrer la victoire: ceux de son poisson-pilote, rôle obscur, souvent dévolu à un ex-finisseur reconverti faute de succès.
C'est une mission de l'ombre passée sous le feu des projecteurs dans ce Tour de France grâce à Mathieu van der Poel, poisson-pilote de luxe de Jasper Philipsen, déjà double vainqueur d'étape et immense favori du sprint à venir vendredi à Bordeaux.
Vainqueur de Paris-Roubaix, Milan-Sanremo et du Tour des Flandres, le petit-fils de Raymond Poulidor n'affiche pas le CV de l'emploi qui revient fréquemment à des sprinteurs n'ayant pas confirmé au plus haut niveau.
"Il s'agit de guider son sprinteur jusqu'à un placement idéal. C'est-à-dire, normalement, en tête à 200 mètres de la ligne", décrit à propos de sa mission le Slovène Luka Mezgec, poisson-pilote de Dylan Groenewegen à Jayco-AlUla. "C'est ce qu'on appelle un lancement parfait."
Comme celui vu à Bayonne puis Nogaro où, deux fois, la fusée d'Alpecin-Deceuninck a été tractée et déposée en tête dans les tout derniers hectomètres par "MVDP".
"Le reste du temps, il faut placer son sprinteur dans une bonne roue, celle du meilleur finisseur du moment ou bien de celui ayant le meilleur train", explique Luka Mezgec, comptant guider Dylan Groenewegen vers une sixième victoire d'étape dans le Tour. "On réfléchit beaucoup dans les deux derniers kilomètres, on analyse l'équipe à qui il reste le plus de coureurs pour anticiper la file la plus rapide."
- "Seule la victoire compte" -
Avant Van der Poel, le Danois Michael Morkov faisait figure de référence chez Soudal-Quick Step. "Il ne faut pas oublier Mark Renshaw, attention à ne pas avoir la mémoire courte", insiste Luka Mezgec.
Son association avec Mark Cavendish a écrit les grandes pages de la carrière du co-détenteur du record de victoires d'étapes dans le Tour avec Eddy Merckx (34).
L'Australien, retraité des pelotons depuis 2019, l'accompagne comme consultant chez Astana dans cette Grande boucle. Sprinteur à ses débuts au sein de la Française des Jeux et du Crédit agricole puis de nouveau chez Rabobank après trois saisons à lancer le "Manx Missile", Mark Renshaw a fini par s'épanouir dans le rôle de poisson-pilote.
"Le cyclisme est un sport où seule la victoire compte, résume-t-il. J'ai souvent décroché des places d'honneur mais peu de victoires. Alors j'ai compris que si je voulais rester dans le jeu et signer un bon contrat, il fallait que je sois le meilleur à quelque chose. Ça ne m'a pas demandé un grand changement mentalement. Je voulais toujours arriver le premier, j'ai seulement avancé la ligne d'arrivée dans ma tête."
Transition vécue par Cees Bol, devenu lanceur de Mark Cavendish cette saison, lui qui était sprinteur chez DSM l'an passé encore. "Le travail est un peu différent, décrit-il, mais il faut toujours analyser où se trouve la meilleure aspiration et quels vont être les mouvements du peloton."
Preuve d'une reconversion pas si évidente, le Néerlandais n'a pas encore renoncé à ses heures de sprinteur: "Je ne suis pas le plus rapide du monde mais je peux signer de bons sprints, livre le coureur de 27 ans. Je crois que je suis capable de gagner au plus haut niveau. Mais c'est difficile et il faut que le final me corresponde bien."
- "Pas capable de gagner moi-même" -
A l'inverse, le Belge Danny van Poppel, lanceur de Jordi Meeus chez Bora-Hansgrohe, accepte totalement son nouveau rôle assurant vouloir devenir le "meilleur poisson-pilote". "Je ne suis pas capable de gagner des étapes du Tour moi-même. On l'a vu l'an passé, j'ai réussi des Top 5 et des Top 10 mais gagner, ce n'est pas possible. Tandis que je peux gagner en aidant le sprinteur le plus rapide."
Pour Luka Mezgec, vainqueur de la dernière étape du Giro-2014 au sprint, le changement s'est opéré en rejoignant Orica-GreenEdge en 2016, l'équipe de Caleb Ewan.
"On a remporté un paquet de courses en 2017 et j'ai appris à vraiment apprécié le job. C'est la même pression. Beaucoup dépend de toi. Quand le résultat n'est pas là c'est souvent que le sprinteur n'a pas été déposé idéalement. Alors quand il gagne, je sais que j'ai bien bossé. C'est en fait le même plaisir que si j'avais gagné moi-même."