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14 individus accusés d'avoir aidé à préparer les attentats de Paris depuis la Belgique: voici les peines réclamées

Dénonçant une "banalisation du mal", le parquet a requis des peines allant jusqu'à cinq ans de prison vendredi à Bruxelles contre neuf prévenus, soupçonnés d'avoir apporté une aide aux auteurs des attentats jihadistes du 13 novembre 2015 à Paris.

Quatorze personnes au total sont jugées par le tribunal correctionnel de Bruxelles. Elles sont soupçonnées d'avoir "aidé le groupe au sens large mais n'ont pas aidé à préparer les attentats" directement, a précisé la procureure fédérale, Véronique Melot, qui doit achever ses réquisitions lundi.

L'un des prévenus est accusé d'avoir hébergé à Bruxelles Salah Abdeslam, seul membre encore en vie des commandos et actuellement jugé par la Cour d'assises spéciale de Paris.

D'autres sont poursuivis pour avoir fourni de l'argent ou transporté des membres de la cellule jihadiste ayant préparé ces attaques revendiquées par le groupe Etat islamique (EI), qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis.

Ils sont pour la plupart originaires de Molenbeek, commune bruxelloise d'où venaient plusieurs protagonistes des attentats dont Salah Abdeslam.

A Bruxelles, deux hommes sont jugés par défaut, présumés morts en Syrie. Il s'agit de Sammy Djedou, dont la mort a été annoncée par le Pentagone en décembre 2016, et Youssef Bazarouj, un autre Belge soupçonné d'avoir été associé en Syrie à la cellule des opérations extérieures du groupe Etat islamique (EI). Il aurait aussi été tué en zone de guerre en 2017.

La procureure a requis une peine complémentaire de deux ans de prison à l'encontre de Sammy Djeddou. L'homme, qui est présumé mort en Syrie, avait déjà écopé d'une peine de 13 ans de prison devant ce même tribunal, en 2021. La procureure a ensuite requis une peine complémentaire de cinq ans de prison à l'encontre de Youssef Bazarouj, également présumé mort en Syrie, et qui avait déjà été condamné à cinq ans de prison par le tribunal, en 2021.

La procureure fédérale a poursuivi son réquisitoire dans l'après-midi en requérant une peine de quatre ans de prison à l'encontre d'Abid Aberkane, le "logeur" de Salah Abdeslam, sans s'opposer à un sursis. Elle a également requis une peine de deux ans de prison avec sursis probatoire à l'encontre du petit frère de Mohamed Abrini, Ibrahim, et une peine de 18 mois de prison avec sursis simple à l'encontre de Zakaria Jaffal.

Enfin, procureure fédérale a requis des peines de 18 mois de prison avec sursis probatoire à l'encontre de Rafik El Hassani et d'Ayoub Bazarouj. Elle a également requis une peine de deux ans de prison à l'encontre de Soufiane Al Aroub et une peine d'un an de prison à l'encontre de Mohamed Rabhioui.

Le jugement est lui attendu pour le 30 juin prochain. 

Ce sont des gens qui ont prêté des aides absolument futiles et qu'on a poursuivis

"Le procès n'est pas compliqué en lui-même, dans la mesure où le véritable dossier de Paris est actuellement traité devant la cour d'assises de Paris, a affirmé Michel Degrêve, avocat d'un des prévenus. Nous, on a un peu affaire à la cinquième roue du carrosse ici, ce qui fait que nous, on n'a pas vraiment les éléments de complexité qui sont traités dans le dossier qui est devant la cour d'assises de Paris. Ce sont des gens qui ont prêté des aides absolument futiles et qu'on a poursuivis. Pour reprendre une expression qui avait été utilisée par d'autres avocats, on a vraiment raclé les fonds de tiroir pour essayer de faire répondre de responsabilité de certaines personnes qui, au final, n'ont pas grand-chose à voir dans les attentats de Paris."

Le logeur de Salah Abdeslam n'a pas agi sous le coup de l'émotion, selon la procureure

Abid Aberkane n'est pas "un vague cousin qui vient du néant", lorsque Salah Abdeslam le contacte le 15 mars 2016 à 21h05, après la fusillade de la rue du Dries à Forest, a déclaré la procureure. "Son nom apparaît dans le dossier bien avant. Il fait partie du relationnel très proche des auteurs directs des attentats à Paris", a-t-elle affirmé.

Abid Aberkane, cousin de Brahim et Salah Abdeslam, avait accepté de cacher Salah et Sofien Ayari dans la cave de l'immeuble de sa mère, rue des Quatre Vents à Molenbeek-Saint-Jean, après que la police les ait débusqués rue du Dries à Forest le 15 mars 2016. Il leur a apporté de quoi manger et des vêtements, mais il a aussi passé de nombreuses heures avec les deux fuyards dans cette cave, a rappelé la procureure, avant qu'ils ne soient arrêtés le 18 mars.

Pour l'accusation, la version d'Aberkane selon laquelle il a agi sous le coup de l'émotion en venant en aide à un membre de sa famille ne tient pas la route. Le dossier montre qu'il avait lui aussi "fait allégeance à Daesh" et qu'il "prêchait auprès de jeunes à la mosquée de la rue Ransfort à Molenbeek-Saint-Jean, réputée radicale".

Mohamed Abrini lui-même a déclaré qu'il avait demandé à son frère de se 'débarrasser de tout ça'

Concernant Ibrahim Abrini, c'est le fait d'avoir "évacué des éléments compromettants pour la cellule terroriste" qui lui vaut d'être inculpé dans ce dossier "Paris bis", d'après la procureure. "Le 13 novembre 2015 à 17h57, il sort de chez lui et remet à Kamal Z. un sac Ikea contenant un ordinateur et des vêtements de son frère, lui affirmant qu'il craint d'être perquisitionné. Or, on ne parle pas encore de Mohamed Abrini à ce moment-là dans la presse. Mohamed Abrini lui-même a déclaré qu'il avait demandé à son frère de se 'débarrasser de tout ça'", a exposé la magistrate du parquet fédéral.

Ibrahim Abrini faisait aussi partie de "chaînes d'appel" entre son frère Mohamed et d'autres djihadistes, a-t-elle affirmé. Selon l'enquête, Ibrahim Abrini était en contact avec des "combattants sur zone" comme Younes Abaaoud, Ahmed Dahmani et Youssef Bazarouj. "Il est aussi le dernier contact avec Ahmed Dahmani (logisticien des attentats à Paris), via Facebook, alors que celui-ci est en train de rejoindre Daesh, via la Turquie, le 14 novembre 2015, lendemain des attentats. Les messages qu'ils ont échangés ont été supprimés", a-t-elle indiqué.

Le cas de Zakaria Jaffal

En ce qui concerne Zakaria Jaffal, il "a activement soutenu son très proche ami Ahmed Dahmani et a ainsi apporté une aide à la cellule en favorisant son départ vers la Syrie", a considéré la procureure. "Il n'est absolument pas crédible quand il dit que son ami ne laissait rien paraître. Il est là pendant les "séances de visionnage" (de vidéos de propagande de l'État Islamique) dans le café de Brahim Abdeslam à Molenbeek-Saint-Jean. Et il est là avec Dahmani lorsqu'il achète son billet d'avion pour la Turquie le 13 novembre 2015, quelques heures avant les attentats".

La représentante du parquet fédérale a encore épinglé un élément interpellant concernant Jaffal. Le 12 novembre 2015 vers 03h00, son téléphone a "borné" rue de la Serrure à Bruxelles, où Salah Abdeslam et Mohamed Abrini ont, au même moment, installé un brouilleur de GPS dans le véhicule de location Seat Leon, qui sera le lendemain l'un des "convois de la mort". "Il est donc avec les auteurs des attentats à un moment-clé", a insisté la procureure. Enfin, celle-ci a rappelé que le 13 novembre à 21h40, Jaffal a reçu un appel d'une durée de 15 secondes de Dahmani, soit 24 minutes après la première explosion, au Stade de France à Saint-Denis. Il a ensuite cassé sa carte SIM. Ce soir-là, certains, dont Dahmani, se sont congratulés au café Time Out à Molenbeek-Saint-Jean, fréquenté par plusieurs protagonistes du dossier, selon les images de caméras de vidéo-surveillance.

Une remise en contexte

Pour débuter son réquisitoire ce vendredi, la procureure fédérale avait rappelé les principaux éléments de l'enquête sur les attentats de novembre 2015 à Paris. La magistrate a notamment affirmé qu'à cette époque, de nombreuses personnes fréquentant le Café des Béguines à Molenbeek-Saint-Jean, exploité par Brahim Abdeslam, y visionnaient régulièrement des vidéos montrant des meurtres barbares commis par l'État Islamique. "Le drame de ce dossier, c'est la banalisation du mal", a-t-elle exprimé.

La procureure a situé le début des préparatifs des attentats à Paris en novembre 2014, lorsque Khalid El Bakraoui est allé voir son cousin Oussama Atar. Ce Laekenois est considéré comme le commanditaire des attentats à Paris et à Bruxelles. "C'est donc le cousin des frères El Bakraoui. Il a commencé le djihad très tôt, en 2003. Il a radicalisé ses cousins. Il allait les voir très souvent en prison, où ils purgeaient des peines pour des braquages", a relaté la magistrate. "Le 11 décembre 2013, Atar disparaît des radars. On sait maintenant qu'il est allé en Syrie. Là, il va devenir Émir de la cellule des opérations extérieures de l'État Islamique. Atar s'est ensuite occupé de la validation des cibles des attentats et de l'acheminement des djihadistes, candidats martyrs, vers l'Europe", a exposé la procureure fédérale.

Celle-ci a ensuite évoqué le départ de Brahim Abdeslam en Turquie, entre le 27 janvier et le 8 février 2015, d'où il a rejoint la Syrie pour un très court séjour. Après le retour de Brahim en Belgique, il a été de coutume, pour de nombreux prévenus du dossier "Paris bis", de visionner des vidéos de l'État Islamique dans le café de celui-ci, qui fera partie des "commandos des terrasses" le 13 novembre 2015 dans la capitale française. Ces vidéos, montrant des décapitations et autres actes de torture, étaient vues d'une manière fréquente au Café des Béguines, tenu par Brahim Abdeslam, selon la procureure. "Le drame de ce dossier, c'est la banalisation du mal", a-t-elle estimé.

Un millier de fausses cartes d'identité

La procureure a évoqué aussi les filières d'armes, les planques ou "appartements conspiratifs" selon ses termes et les ateliers de fabrication des faux documents d'identité. "Un millier de fausses cartes d'identité, parmi lesquelles celles qui ont servi à la location des planques, ont été découvertes. Farid Kharkach (accusé devant la cour d'assises de Paris) apparaît alors dans le dossier. Il est interpellé en janvier 2017, avec son épouse (prévenue dans le dossier "Paris bis", uniquement pour faux)", a poursuivi la représentante du ministère public. Remontant encore le fil de l'enquête, elle a insisté sur la fusillade de la rue du Dries à Forest, le 15 mars 2016, et sur les découvertes qui ont été faites dans la planque qu'occupaient Salah Abdeslam, Sofien Ayari et Mohamed Belkaïd dans cette rue. "Le dossier a alors sensiblement progressé", a-t-elle fait remarquer.

La procureure a expliqué que la publication de la photo des frères El Bakraoui dans la presse, juste après, a précipité les attentats à Bruxelles le 22 mars. "Les frères étaient sous pression", a-t-elle dit, affirmant que cela ressort de conversations téléphoniques découvertes après. La magistrate a encore évoqué une autre photo de l'un des frères El Bakraoui, photographié dans l'une des planques au milieu de nombreuses armes. "Cette photo a été source de vives inquiétudes, car toutes les armes visibles dessus n'ont pas été retrouvées", a-t-elle commenté. Elle a terminé cet exposé de l'enquête en rappelant que, selon divers documents retrouvés, la filière terroriste avait envisagé d'autres cibles en France comme l'École des officiers de Saint-Cyr, et en Belgique, notamment des cafés à Bruxelles, mais aussi des kidnappings.

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