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Elles évoquent des trous de mémoire, une grande fatigue, mais peinent à comprendre pourquoi: chaque année de nombreuses personnes, surtout des femmes, sont droguées à leur insu par un proche, qui souvent en profite pour les agresser sexuellement, dénoncent des militants à travers une campagne de communication lancée lundi en France
Si les dangers de la "drogue du violeur", versée par un inconnu dans un verre lors d'une soirée en discothèque, ont été largement médiatisés ces dernières années, la "soumission chimique dans la sphère privée" est en revanche encore méconnue et sous-estimée en France, affirment les initiateurs du mouvement "M'endors pas".
"La majorité des victimes s'ignorent", déclare à l'AFP Caroline Darian, l'une des responsables de cette campagne. Elle a elle-même découvert que son père avait ainsi drogué sa mère pendant 10 ans, pour abuser d'elle et la "livrer", inconsciente, à d'autres hommes. Il est actuellement en détention provisoire. "Ma mère a vu trois neurologues, ils ont fait des scanners, mais pas d'analyse toxicologique", raconte Mme Darian, pour qui les pouvoirs publics doivent d'avantage se mobiliser sur ce sujet, notamment pour mieux former les médecins à détecter de tels cas, et pour aider les victimes à porter plainte.
Des centaines de cas d'agression recensés
En se basant principalement sur les plaintes, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) recense chaque année depuis 2003 les molécules utilisées par les agresseurs et leur mode opératoire. Elle peut ainsi élaborer des propositions pour limiter les détournements, par exemple en renforçant les conditions de délivrance de certains médicaments. Elle a aussi parfois fait rajouter des colorants dans certains d'entre eux, pour limiter les risques, explique à l'AFP la Dr Leila Chaouachi, pharmacienne au centre d'addictovigilance de Paris (AP-HP) et responsable de cette étude.
Chaque année, plusieurs centaines de cas d'"agression facilitée par les drogues" sont recensés : 539 en 2020, et 727 en 2021, détaille cette experte. Dans la grande majorité des situations, l'agresseur a profité de la vulnérabilité d'une personne qui avait consommé volontairement des substances. Mais dans 11% des cas on peut parler de "soumission chimique vraisemblable", la victime étant droguée à son insu, le plus souvent avec des sédatifs, notamment des anxiolytiques et des hypnotiques.
"Un doute permanent"
C'est la concomitance entre un symptôme et certains éléments matériels qui peut conduire la victime à s'interroger, souligne Mme Chaouachi: "par exemple, 'J'ai un blackout depuis le dîner et je me réveille dénudée' ", explique-t-elle.
Les quelques dizaines de cas officiellement recensés ne représentent probablement qu'une partie de la réalité. D'autant que le dépôt de plainte, toujours difficile en matière d'agression sexuelle, l'est encore plus quand la victime souffre d'amnésie ou d'un "doute permanent sur ce qui a pu se passer".