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Deuil périnatal: pourquoi de plus en plus de parents décident de se faire prendre en photo avec leur bébé mort-né?

Il y a quelques jours la mannequin américaine Chrissy Teigen et son époux, le chanteur, John Legend partageaient sur les réseaux sociaux des photos bouleversantes. Enceinte de son 3ème enfant, l’ancienne top-modèle a vécu des complications et a finalement dû accoucher d’un fils mort-né, prénommé Jack.

La publication de ces photos a soulevé un tabou dans le monde entier: la perte d’un bébé. Beaucoup de gens se sont demandé pourquoi la star avait voulu partager ce moment déchirant et ces photos intimes.

Dans les maternités américaines, photographier son bébé décédé est un service proposé régulièrement pour permettre aux parents de garder un souvenir de leur progéniture. C’est en 2005 que l’association caritative "Now I Lay Me Down to Sleep" (en français, "Maintenant je m’allonge pour dormir") a vu le jour. Cette association dispose d’un réseau de photographes bénévoles dispersés à travers les Etats-Unis.

En Belgique depuis 2016

Depuis 2016, il est possible d’avoir recours à ce service gratuitement en Flandre. 

En effet, au cours de cette année-là, la magie des réseaux sociaux permet la rencontre virtuelle de deux femmes : une maman photographe qui avait perdu sa fille un jour après l'accouchement, et une sage-femme photographe. Celles-ci déplorent l'inexistence d'un service de photos de bébés décédés. Elles décident donc de monter en Flandre l'ASBL "Boven de Wolken" (Au-delà des nuages) qui bénéficie d'une grande popularité auprès des hôpitaux. Tous ont désormais recours à cette association si les parents concernés en formulent le souhait.

Deux ans plus tard, en avril 2018, la version francophone fait son apparition en Wallonie et à Bruxelles, sponsorisée par Dela, un assureur spécialisé dans les obsèques, et l’aide de photographes bénévoles.

En 2019, "Au-delà Des Nuages" a photographié 671 bébés décédés en Flandre et 133 bébés décédés en Wallonie-Bruxelles. Avec un nombre croissant d’appels par an, l’association a déjà accompagné plus de 2000 familles dans toute la Belgique depuis sa création.

Aujourd’hui, Aurélie Flamant, la responsable en Wallonie et à Bruxelles, souhaite que tout le monde connaisse cette ASBL : "Il y a des associations dont on espère ne jamais avoir besoin, mais dont il faut parler pour savoir qu’elles existent", nous explique-t-elle. "Encore trop de parents concernés par la perte d’un enfant ont eu connaissance de notre association après avoir dû traverser cette épreuve et ils nous envoient des messages en nous disant: "Si seulement, on avait su…"

Il n’y a pas un chemin idéal pour tout le monde

Prendre des photos de son bébé dans cette situation permet-il de mieux faire son deuil ?

Nous avons contacté Bruno Fohn, psychologue au service de Gynécologie-Obstétrique -au CHR de la Citadelle à Liège, pour connaître son expertise à ce sujet. Il soutient cette idée développée par l’association "Au-delà des nuages" à la condition que cela ne soit pas présenté comme une obligation pour les parents. "Il y a cette idée que les photos visent à concrétiser l’existence de l’enfant et la réalité de sa disparition et de sa mort. On ne peut se détacher de quelque chose que quand on y a été attaché. Prendre des photos avec l’enfant peut aider mais n’est pas indispensable." Il ajoute: "C’est une modalité qui participe à construire des souvenirs donc, à laisser une trace, une consistance à cet enfant. Certains parents veulent changer le lange de leur bébé, l’habiller, le prendre dans leurs bras et faire tout ce qui est possible avec lui. C’est important de leur proposer de faire des photos avec lui."

Beaucoup de parents ne veulent pas se faire photographier, révèle Bruno Fohn, qui accompagne depuis 25 ans ces individus confrontés à cet événement tragique de leur vie.

"Certains parents préfèrent garder l’image qu’ils ont de leur enfant concrètement, en le touchant plutôt qu’en photo. Ce qui compte c’est qu’ils fassent comme ils le sentent. C’est une des caractéristiques du deuil chez l’être humain, il n’y a pas un chemin idéal pour tout le monde."

La perte d’un enfant est-elle encore taboue dans notre société ?

Pour ce spécialiste, il y a une très nette évolution dans le tabou. Selon lui, il n’est plus aussi lourd qu’auparavant parce que les gens partagent davantage leur expérience malheureuse. "On sait que cela existe autour de nous." S’il y a encore un tabou, cela concerne surtout l’entourage des parents: "Il y a toujours une difficulté à être en contact avec des parents qui vivent cette situation. On ne sait pas quoi dire. On est maladroit. Il n’y a pas de recette miracle.  Mais cela vient du principe que perdre un enfant renverse les codes fondamentaux."

Et de justifier: "Dans la nature, ce qui est vieux disparaît avant. Perdre son enfant renverse les codes. C’est l’inverse de ce qui est culturellement la norme."

Faire le deuil d’un projet de vie

"L’autre élément qui joue dans ce genre de deuil particulier, c’est aussi le fait que cette situation, c’est la perte d’un projet de vie. Cela touche l’ensemble d’un parcours de vie, parce que des grossesses dans une vie, c’est quelque chose de rare. On n'en vit pas 30, on n'en vit que quelques unes... Lorsque la femme enceinte a un souci et que le bébé décède, en cours de la grossesse ou à la naissance, les parents se posent souvent la question: "Est-ce qu’on est vraiment parents d’un enfant qui n’est plus là?  Après le décès d‘un proche, on n’oublie pas mais on peut apprendre à vivre avec.  L’enjeu final est d’aider à ce que cette perte s’inscrive dans l’histoire familiale de manière apaisée", conclut-il.

Le 15 octobre est la journée du deuil périnatal. La périnatalité est la période de la vie entourant la naissance d’un enfant. Selon les derniers chiffres officiels publiés sur le site Statbel. En 2017, 634 enfants sont mort-nés en Belgique. "Sont considérés comme mort-nés, les enfants nés sans vie dont le poids de naissance est égal ou supérieur à 500 grammes ou, si le poids de naissance est inconnu, d’un âge gestationnel d’au moins 22 semaines", précise le site internet des statistiques du gouvernement.

Pour toutes informations :

www.deuil-enfant.be

https://www.facebook.com/audeladesnuagesbe/

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