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Faouzi Derbouz, marcheur hors des sentiers balisés

Menacé de paralysie depuis une infection nosocomiale en 2014, Faouzi Derbouz, citoyen engagé du nord-est parisien, organise d'interminables randonnées nocturnes pour "tordre le cou de toutes ces blouses blanches" et contribuer au "vivre-ensemble".

Ce samedi soir, il distribue barres de céréales ou sourires et s'en grille même une petite en attendant que ses compagnons d'un soir soient tous arrivés.

Cheveux ras sur lesquels il relève ses lunettes violettes, Faouzi Derbouz, 44 ans, semble avoir tout son temps au moment d'emmener une quarantaine de Franciliens, inconnus pour la plupart, marcher à travers la capitale sur autant de kilomètres jusqu'au dimanche midi.

Et pourtant "viendra le moment où il y aura une rando que je ne pourrai pas terminer", dit cet ancien contrôleur de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), au parcours brisé en 2014 par une infiltration pour soigner sa lombalgie chronique.

"L'interne a mal piqué", raconte-t-il sans aigreur à propos d'une "erreur médicale", qui n'a pas fini d'être instruite.

Son chemin de croix débute le lendemain, quand il ne parvient pas à se lever. Dix jours plus tard, le verdict tombe: un staphylocoque doré a infecté sa colonne vertébrale.

Il passe un mois et demi à l'hôpital, au lit ou en fauteuil, et comprend alors qu'il y aura "un avant et un après."

Beaujon, Pompidou, Cochin, Bichat: "irréversible", la maladie lui fait faire le tour des hôpitaux parisiens, et perdre son travail pour inaptitude: les aménagements proposés constituaient une "régression professionnelle", estime-t-il.

- Échappatoire -

"Les vertèbres rongés, un dos cassé, une addiction aux opiacés", ce poète amateur se tourne alors vers son autre passion, la marche.

Gamin, dans le village de l'Aisne où il est arrivé d'Algérie à l'âge de 3 ans, "j'avais la campagne pour terrain de jeu", se remémore-t-il à propos d'une enfance "merveilleuse". Une fois francilien, il a exploré les terminus des lignes RER "pour voir ce qu'il y avait après".

"Il a toujours bourlingué", dit son frère aîné Ahmed, qui s'est mis à la marche "pour l'accompagner et l'encourager". Sa femme Sabrina aussi le "soutient", avec leurs enfants Rabia, 5 ans, et Youssef, 4 ans, qui "l'attendent et veulent accueillir leur père. Ça les porte", sourit la maman.

Pas le corps médical, en revanche, opposé à ces efforts déraisonnables. "Tu veux prouver quoi?+", lui a demandé un médecin. Bénéficiaire d'une pension d'invalidité, Faouzi assume avoir voulu "tordre le cou de toutes ces blouses blanches".

C'est ainsi que naissent en 2019 les "Night Trotters", son club de randonnée ouvert aux curieux qu'il emmène dans et autour de Paris, sur des parcours qu'il conçoit lui-même, par désintérêt pour "les sentiers déjà balisés".

- Une "inspiration" -

Ses séjours réguliers à l'hôpital le forcent à espacer les sorties. Mais une fois lancé, il rallie toujours la ligne d'arrivée, quitte à "se tordre de douleur", dixit son frère Ahmed.

"Une fois, j'ai pleuré tant j'avais mal, mais en prenant une certaine distance pour ne pas que les gens s'en rendent compte", dit Faouzi sans fausse pudeur. "Quand j'ai fini, j'étais dans une telle sensation de bien-être... je voudrais que ça ne s'arrête jamais."

Equipé d'un corset, son "scaphandre de superhéros", et d'un bâton de marche sur lequel il s'appuie pour limiter son boitement, le marcheur intrépide ne s'épargne même pas la charge d'un gros sac à dos.

"Il m'impressionne complètement", dit Aristide, 30 ans, un voisin et compagnon de marche, tandis que Yasser, 29 ans, ingénieur en informatique et grand sportif, y voit une source d'"inspiration". "Si lui peut y arriver, pourquoi pas moi ?"

Le refus de la fatalité, le meneur de troupes le porte aussi à son échelle de son quartier, Rosa Parks, "territoire en souffrance" du nord-est parisien où il aide dans leurs démarches des habitants qui ne maîtrisent pas bien le français.

Séances de lecture ou bibliothèque de rue, pour ce militant assumé de Saccage Paris, qui se bat aussi contre le mal-logement, tout est bon pour "contribuer au vivre-ensemble". Y compris la marche, à en croire la confession d'un inconnu venu pendant le premier confinement: "si je viens, c'est que j'ai envie de parler avec des gens."

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