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"Féminicide": c'est pour "réveiller les consciences" que la procureure d'Auch, Charlotte Beluet, a lâché le mot lors d'une affaire cet été dans le Gers, dans le droit fil d'un engagement forgé sur le terrain contre les violences conjugales.
"Quand on utilise ce terme", qui ne figure pas dans le code pénal, "c'est pour nommer les choses, arrêter de reléguer ces femmes au rang de fait-divers ou d'une statistique indécente", pour "contrebalancer tous ces discours récurrents sur ce fameux +crime passionnel+", argumente la procureure, parmi les premiers magistrats, sinon la première, à avoir publiquement employé le terme.
Cela lui a valu "des retours positifs, mais aussi négatifs", relève cette énergique quadragénaire. Et pourtant, "parler d'infanticide ou de parricide ne choque personne".
L'homicide par conjoint dont elle rendait compte cochait toutes les cases de ces "féminicides intimes" qu'elle décrit -- suivant la définition de l'Organisation mondiale de la santé -- comme un "crime de possession".
Avant de se suicider, l'auteur, un retraité de 81 ans, avait tué son épouse gabonaise de 49 ans, épousée par correspondance, en invoquant une relation avec un autre homme.
"On ne frappe jamais, on ne tue jamais par amour", comme beaucoup d'auteurs ou d'avocats le plaident encore, martèle Mme Beluet. "Dans la majorité des cas, quand un homme frappe ou tue, ce n'est pas car il perd le contrôle, c'est pour le maintenir sur une compagne considérée comme sa propriété, un objet".
- "Priorité" aux violences -
Il faut "réveiller les consciences", insiste-t-elle, car, si "le meurtre d'une femme n'est pas plus grave que celui d'un homme, cela renvoie à une réalité sociétale où les femmes sont majoritairement les victimes".
Pourtant, elle n'est "pas forcément" favorable à l'introduction du terme de féminicide dans le code pénal.
Par attachement à l'universalisme de la justice, mais aussi car son vrai combat, dont elle a fait une "priorité" vise les violences conjugales, dont le féminicide est "le paroxysme".
C'est une "problématique saillante" dans sa juridiction, où depuis son entrée en fonction, en 2017, "pas un jour ne passe sans que je sois appelée pour une affaire de violences conjugales".
La "ruralité ajoute à la difficulté de parler" pour les victimes, par manque de services publics, de médecins, par peur du qu'en dira-t-on, note-t-elle, tout en rappelant que le fléau frappe partout, dans toutes les couches sociales.
Pour y faire face, elle revendique avoir mis en place une "politique pénale très offensive et structurée", impliquant une coopération "de tous les instants" entre tous les acteurs concernés.
- L'accueil, clé du dispositif-
Elle exige des services de gendarmerie et de police qu'ils la soutiennent: pour elle, il faudrait bannir les mains courantes, car il faut toujours des investigations. Faute d'être toujours entendue, elle a "tapé du poing sur la table" et demandé que toutes lui soient communiquées.
Convaincue de la nécessité de s'intéresser également aux auteurs, via notamment des stages de prise de conscience, elle pratique aussi "une politique importante de déferrement": "nous avons fait des comparutions immédiates sans plainte, avec seulement au départ un procès-verbal".
Y compris parfois en prenant le contre-pied des souhaits de la victime: l'une des deux femmes dotée désormais d'un téléphone grand danger dans sa juridiction refusait au départ toute mise en cause de son conjoint, "nous avons dû la menacer d'un retrait des enfants".
Mais "toute cette architecture dépend de l'accueil" réservé aux victimes, juge-t-elle. Pour elle, il est donc impératif de mieux former les acteurs de première ligne, des gendarmes aux magistrats.
"Je dis toujours à mes enquêteurs qu'une femme a le droit de poser plainte, puis de la retirer, puis de recommencer. Si on ignore les mécanismes de dépendance et d'emprise, on passe totalement à côté du sujet".
"Il faut lutter sans cesse contre les idées reçues, les clichés, comme le fameux +si elle souffre tant pourquoi ne part-elle pas+".
"Nous ne sommes pas là pour garantir une séparation, à peu près la moitié des couples va rester ensemble même après incarcération. Nous sommes là pour éviter une récidive, c'est parfois compliqué à comprendre".