Accueil Actu

Hippies, hackers, savants: un journaliste russe retrace la "croisade" de l'internet russe

Aux premiers jours de l'internet russe, un astrophysicien gérait le site le plus visité du pays, des hippies réussissaient le premier "chat" vidéo entre l'URSS et les Etats-Unis et les fournisseurs d'accès, pour punir les hackers, leur brisaient les genoux à la batte de baseball.

Ces années chaotiques et libres, qui coïncident avec la chute de l'URSS, sont au cœur d'une série documentaire que le journaliste Andreï Lochak consacre à l'histoire sulfureuse du Runet, l'internet russe, à une époque où le pouvoir n'avait pas encore commencé à resserrer son étau.

Un histoire peuplée de personnages hors du commun, à l'image de l'Américain Joel Schatz et du Russe Joseph Goldin, les pères de la première communication vidéo en direct entre l'URSS et les Etats-Unis dans les années 1980.

En 1990, pour fêter leurs retrouvailles, les deux hommes conduisirent sur la place Rouge un missile balistique sur lequel des clowns étaient juchés, réussissant à convaincre les policiers qu'ils avaient "les plus hautes autorisations".

Ces stupéfiantes images d'archives ouvrent le premier épisode de "Holy war. The history of the Runet", mini-série en six parties dont les deux premières seront dévoilées dimanche à Moscou dans le cadre du festival de films documentaires Beat.

De la création de la première adresse ".ru" il y a 25 ans jusqu'aux tentatives actuelles du gouvernement de contrôler le réseau, le réalisateur voyage de la Sibérie à la Silicon Valley pour retrouver des savants soviétiques, les "pères fondateurs" oubliés mais aussi des hackers, des entrepreneurs visionnaires ou des investisseurs tombés en disgrâce.

- Epine dans le pied du pouvoir -

Dans une séquence de 1999, l'on voit Vladimir Poutine, alors jeune Premier ministre, interrogé au sujet d'internet. "Il dit qu'il voit que c'est une initiative prometteuse, qu'il ne s'en sert pas lui-même mais qu'il la laisse se développer. Et de fait, il n'y a pas touché pendant 15 ans. Il faut le remercier pour ça, curieusement", s'amuse Andreï Lochak, interviewé par l'AFP.

Mais ces dernières années, les autorités n'ont cessé de renforcer leur pression sur l'internet russe, bloquant des contenus et sites liés à l'opposition, mais aussi des services qui refusaient de coopérer avec elles, tels que la plateforme vidéo Dailymotion, le réseau social LinkedIn ou la messagerie Telegram.

"Le Runet, c'est quelque chose qui dérange énormément le pouvoir, c'est une épine dans leur pied. Ils comprennent qu'il faut faire quelque chose, mais ils ne savent pas trop quoi. Ils essaient des choses, et nous voyons ce que ça donne", indique Andreï Lochak en citant le cas de Telegram, en guerre ouverte avec les autorités.

En mars, Vladimir Poutine a promulgué une loi permettant de bloquer des médias sur internet diffusant des "fausses nouvelles" et une autre permettant de bloquer les contenus faisant preuve "d'irrespect" envers les autorités.

Dernière menace en date, une loi prévue pour entrer en vigueur en novembre 2019 doit permettre aux autorités d'avoir un "contrôle centralisé du trafic" internet russe, pour contrer des menaces éventuelles de l'extérieur. Ce contrôle sera assuré, entre autres, par les services spéciaux russes (FSB).

- Des "lois insensées" -

Andreï Lochak condamne "toutes ces lois insensées". "Internet ne peut pas être contrôlé comme ils contrôlent la télévision. C'est la nature même d'internet", affirme le réalisateur qui annonce une "bataille" entre les tenants d'un contrôle du net et ceux militant pour sa liberté. "Qui la gagnera, ce n'est pas clair", ajoute-t-il.

Selon lui, il est trop tard pour que l'Etat réussisse à isoler le Runet, qui a connu un quart de siècle de liberté totale, une différence majeure avec des pays comme la Chine, où internet s'est développé sous le contrôle des autorités.

Mais les conséquences de la politique gouvernementale n'en sont pas moins lourdes. "Les grands médias numériques ont disparu en Russie ou ils sont devenus nettement plus petits, ont perdu leur influence", regrette le réalisateur.

Et "de nouvelles entreprises ont cessé de naître, il n'y a pratiquement aucune entrée sur les marchés internationaux" d'entreprises numériques russes depuis l'arrivée en bourse fracassante du géant Yandex, en 2011.

La série est produite par Current Time, une chaîne de télévision en langue russe créée par les médias Radio Free Europe/Radio Liberty et Voice of America, financée par Washington. Elle sera disponible à partir de septembre sur YouTube et sur la plate-forme de Current Time.

Pour la direction de la chaîne, ce documentaire est particulièrement important "pour les jeunes audiences qui ont grandi après l'Union soviétique, car cela leur rappelle que l'information n'est pas censée être censurée ou transformée en arme. Elle est censée être libre".

À lire aussi

Sélectionné pour vous